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fois dans le même pays. Il y a des loups dans toutes les parties du monde. Hist. natur. géner. & part. com. VII.

Loup, le, (Chasse) est le plus robuste des animaux carnassiers, dans les climats doux de l’Europe : il a sur-tout beaucoup de force dans les parties antérieures du corps : il est pourvû d’haleine, de vîtesse, & d’un fonds de vigueur qui le rend presqu’infatigable. Avec ces avantages, la nature lui a encore donné des sens très-déliés. Il voit, il entend finement ; mais son nez principalement est l’organe d’un sentiment exquis. C’est le nez qui apprend à cet animal, à de très-grandes distances, où il doit chercher sa proie, & qui l’instruit des dangers qu’il peut rencontrer sur sa route. Ces dons de la nature joints au besoin de se nourrir de chair, paroissent destiner le loup singuliérement à la rapine : en effet, c’est le seul moyen qu’il ait de se nourrir. Nous l’appellons cruel, parce que ses besoins sont souvent en concurrence avec les nôtres. Il attaque les troupeaux que l’homme reserve pour sa nourriture, & les bêtes fauves qu’il destine à ses plaisirs. Aussi lui faisons-nous une guerre déclarée ; mais cette guerre même qui fait périr un grand nombre d’individus de cette espece vorace, sert à étendre l’instinct de ceux qui restent : elle multiplie leurs moyens, met en exercice la défiance qui leur est naturelle, & fait germer en eux des précautions & des ruses qui sans cela leur seroient inconnues.

Avec une grande vigueur jointe à une grande sagacité, le loup fourniroit facilement à ses besoins, si l’homme n’y mettoit pas mille obstacles ; mais il est contraint de passer tout le jour retiré dans les bois pour se dérober à la vûe de son ennemi : il y dort d’un sommeil inquiet & leger, & il ne commence à vivre qu’au moment où l’homme revenu de ses travaux, laisse régner le silence dans les campagnes. Alors il se met en quête ; & marchant toujours le nez au vent, il est averti de fort loin du lieu où il doit trouver sa proie : dans les pays où les bois sont peuplés de bêtes fauves, la chasse lui procure aisément de quoi vivre. Un loup seul abat les plus gros cerfs. Lorsqu’il est rassasié, il enterre ce qui lui reste, pour le retrouver au besoin ; mais il ne revient jamais à ces restes que quand la chasse a été malheureuse. Lorsque les bêtes fauves manquent, le loup attaque les troupeaux, cherche dans les campagnes quelque cheval ou quelque âne égaré : il est très-friand sur-tout de la chair de l’ânon.

Si les précautions des bergers & la vigilance des chiens mettent les troupeaux hors d’insulte ; devenu hardi par nécessité, il s’approche des habitans, cherche à pénétrer dans les basse cours, enleve les volailles, & dévore les chiens qui n’ont pas la force ou l’habitude de se défendre contre lui. Lorsque la disette rend sa faim plus pressante, il attaque les enfans, les femmes ; & même après s’y être accoûtumé par degré, il se rend redoutable aux hommes faits. Malgré ces excés, cet animal vorace est souvent exposé à mourir de faim. Lorsqu’il est trahi par ses talens pour la rapine, il est contraint d’avaler de la glaise, de la terre, afin, comme l’a remarqué M. de Buffon, de lester son estomac & de donner à cette membrane importante l’étendue & la contension nécessaires, pour que le ressort ne manque pas à toute la machine.

Il doit à ce secours l’avantage d’exister peut-être quelques jours encore ; & il lui doit la vie, lorsque pendant ce tems le hazard lui offre une meilleure nourriture qui le répare.

Les loups restent en famille tant qu’ils sont jeunes, parce qu’ils ont besoin d’être ensemble pour s’aider réciproquement à vivre. Lorsque vers l’âge de dix-huit mois ils ont acquis de la force & qu’ils

la sentent, ils se séparent jusqu’à ce que l’amour mette en société un mâle & une femelle : parmi celles-ci, les vieilles entrent en chaleur les premieres. Elles sont d’abord suivies par plusieurs mâles, que la jalousie fait combattre entr’eux cruellement : quelques-uns y périssent ; mais bien tôt le plus vigoureux écarte les rivaux ; & l’union étant une fois décidée, elle subsiste. Les deux loups que l’amour a joints, chassent ensemble, ne se quittent point, ou ne se séparent que de convention, & pour se rendre mutuellement la chasse plus facile. Voyez Instinct. Le tems de la chaleur n’est pas long ; mais la société n’en subsiste pas moins pendant les trois mois & demi que dure la gestation de la femelle, & même beaucoup au-delà. On prétend que la louve se dérobe au mâle pour mettre bas ses petits. Mais il est certain que très-souvent le pere chasse encore avec elle après ce tems, & qu’il apporte avec elle à manger aux louvetaux.

La vigueur & la finesse de sens dont les loups sont doués, leur donnant beaucoup de facilité pour attaquer à force ouverte ou surprendre leur proie, ils ne sont pas communément forcés à beaucoup d’industrie : il n’est pas nécessaire que leur mémoire, quant à cet objet, soit chargée d’un grand nombre de faits, ni qu’ils en tirent des inductions bien compliquées. Mais si le pays, quoiqu’abondant en gibier, est assiégé de pieges ; le vieux loup instruit par l’expérience, est forcé à des craintes qui balancent son appétit : il marche toujours entre le double écueil ou de donner dans l’embuche ou de mourir de faim. Son instinct acquiert alors de l’étendue ; sa marche est précautionnée ; tous ses sens excités par un intérêt aussi vif veillent à sa garde, & il est très-difficile de surprendre sa défiance.

On a pour chasser le loup des équipages de chiens courans, composés comme ceux avec lesquels on chasse les bêtes fauves. Voyez Vénerie. Mais il est nécessaire que les chiens d’un équipage du loup soient plus vîtes ; c’est pourquoi on les tire ordinairement d’Angleterre. Il faut aussi que les chevaux aient plus de vigueur & de fonds d’haleine ; parce qu’il est impossible de placer surement les relais pour la chasse du loup. Quoique ces animaux aient comme les autres, des refuites qui leur sont familieres, leur défiance naturelle & la finesse de leur odorat y mettent beaucoup plus d’incertitude : ils en changent, dès qu’il se présente quelqu’obstacle sur leur route. D’ailleurs le loup va toujours en avant, & il ne fait gueres de retours à moins que quelque blessure ne l’ait affoibli.

La raison des retours qui sont familiers à la plupart des bêtes fauves qu’on chasse, est pour les uns la foiblesse, & pour d’autres la crainte de s’égarer dans des lieux inconnus. Les cerfs nés dans un pays, ne s’écartent guere quand ils sont chassés de l’enceinte des trois ou quatre lieues qu’ils connoissent. Mais lorsque dans le tems du rut, l’effervescence amoureuse & la disette de femelles les a forcés de quitter le lieu de leur naissance, pour chercher au loin la jouissance & le plaisir ; s’ils sont attaqués, on les voit aussi-tôt prendre leur parti & refuir sans retour dans les bois d’où ils étoient venus. Or, le loup connoît toujours une grande étendue de pays ; souvent il parcourt vingt lieues dans une seule nuit. Né vagabond & inquiet, il n’est retenu que par l’abondance de gibier ; & cet attrait est aisément détruit par le bruit des chiens & la nécessité de se dérober à leur poursuite.

On va en quête avec le limier pour détourner le loup aussi bien que pour le cerf, mais il faut beaucoup plus de précautions pour s’assurer du premier. On peut approcher assez près du cerf sans le faire lever de la reposée, mais le moindre bruit fait partir