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les angles étoient faits de maçonnerie en liaison, pour retenir la poussée de ces pierres inclinées, qui ne laissoit pas d’être fort considérable ; mais cette espece de maçonnerie étoit beaucoup moins solide, parce que le poids de ces pierres qui portoient sur leurs angles les faisoit éclater ou égrainer, ou du moins ouvrir par leurs joints, ce qui détruisoit le mur. Mais les anciens n’avoient d’autres raisons d’employer cette maniere que parce qu’elle leur paroissoit plus agréable à la vûe. La maniere de bâtir en échiquier selon les anciens, que rapporte Palladio dans son I. liv. (Voyez la fig. 9.), étoit moins défectueuse, parce que ces pierres, dont les joints étoient inclinés, étoient non-seulement retenues par les angles du mur, faits de maçonnerie de brique en liaison, mais encore par des traverses de pareille maçonnerie, tant dans l’intérieur du mur qu’à l’extérieur.

La seconde espece étoit celle en liaison (fig. 2. & 3), appellée insertum, & dont les joints étoient horisontaux & verticaux : c’étoit la plus solide, parce que ces joints verticaux se croisoient, en sorte qu’un ou deux joints se trouvoient au milieu d’une pierre, ce qui s’appelloit & s’appelle encore maintenant maçonnerie en liaison. Cette derniere se subdivise en deux, dont l’une étoit appellée simplement insertum, fig. 2, qui avoit toutes les pierres égales par leurs paremens ; l’autre, fig. 3, étoit la structure des Grecs, dans laquelle se trouve l’une & l’autre ; mais les paremens des pierres étoient inégaux, en sorte que deux joints perpendiculaires se rencontroient au milieu d’un pierre.

Le second genre étoit celui de pierre brute, fig. 4. 5. & 6 ; il y en avoit de deux especes, dont l’une étoit appellée, comme la derniere, la structure des Grecs (fig. 4. & 5.), mais qui différoit en ce que les pierres n’en étoient point taillées, à cause de leur dureté, que les liaisons n’étoient pas régulieres, & qu’elles n’avoient point de grandeur reglée. Cette espece se subdivisoit encore en deux, l’une que l’on appelloit isodomum (fig. 4.), parce que les assises étoient d’égale hauteur ; l’autre pseudisodomum (fig. 5.), parce que les assises étoient d’inégale hauteur. L’autre espece, faite de pierres brutes, étoit appellée amplecton (fig. 6.), dans laquelle les assises n’étoient point déterminées par l’épaisseur des pierres ; mais la hauteur de chaque assise étoit faite de plusieurs si le cas y échéoit, & l’espace d’un parement[1] à l’autre étoit rempli de pierres jettées à l’aventure, sur lesquelles on versoit du mortier que l’on enduisoit uniment ; & quand cette assise étoit achevée, on en recommençoit une autre par dessus : c’est ce que les Limousins appelloient des arrases, & que Vitruve nomme erecta coria.

Le troisieme genre appellé revinctum (fig. 7.) étoit composé de pierres taillées posées en liaison & cramponnées ; ensorte que chaque joint vertical se trouvoit au milieu d’une pierre, tant dessus que dessous, entre lesquelles on mettoit des cailloux &

d’autres pierres jettées à l’aventure mêlées de mortier.
Table des manieres anciennes de bâtir, présentées sous un même aspect.
Des pierres taillées & polies, la maillée, ou reticulatum.
en liaison, ou insertum, insertum.
la structure des Grecs.
De pierres brutes, la structure des Grecs, isodomum.
pseudisodomum.
amplecton.
De l’une et de l’autre revinctum.

Il y avoit encore deux manieres anciennes de bâtir ; la premiere étoit de poser les pierres les unes sur les autres sans aucune liaison ; mais alors il falloit que leurs surfaces fussent bien unies & bien planes. La seconde étoit de poser ces mêmes pierres les unes sur les autres, & de placer entre chacune d’elles une lame de plomb d’environ une ligne d’épaisseur.

Ces deux manieres étoient fort solides, à cause du poids & de la charge d’un grand nombre de ces pierres, qui leur donnoient assez de force pour se soûtenir ; mais les pierres étoient sujettes par ce même poids à s’éclater & à se rompre dans leurs angles, quoiqu’il y ait, selon Vitruve, des bâtimens fort anciens où de très-grandes pierres avoient été posées horisontalement, sans mortier ni plomb, & dont les joints n’étoient point éclatés, mais étoient demeurés presque invisibles par la jonction des pierres, qui avoient été taillées si juste & se touchoient en un si grand nombre de parties, qu’elles s’étoient conservées entieres ; ce qui peut très-bien arriver, lorsque les pierres sont démaigries, c’est-à-dire plus creuses au milieu que vers les bords, tel que le fait voir la figure 8, parce que lorsque le mortier se seche, les pierres se rapprochent, & ne portent ensuite que sur l’extrémité du joint ; & ce joint n’étant pas assez fort pour le fardeau, ne manque pas de s’éclater. Mais les mâçons qui ont travaillé au louvre ont imaginé de fendre les joints des pierres avec la

scie, à mesure que le mortier se séchoit, & de remplir lorsque le mortier avoit fait son effet. On doit remarquer que par là un mur de cette espece a d’autant moins de solidité que l’espace est grand depuis le démaigrissement jusqu’au parement de devant, parce que ce mortier mis après coup n’étant compté pour rien, ce même espace est un moins dans l’épaisseur du mur, mais le charge d’autant plus.

Palladio rapporte dans son premier livre, qu’il y avoit anciennement six manieres de faire les murailles ; la premiere en échiquier, la seconde de terre cuite ou de brique, la troisieme de ciment fait de cailloux de riviere ou de montagne, la quatrieme de pierres incertaines ou rustiques, la cinquieme de pierres de taille, & la sixieme de remplage.

Nous avons expliqué ci-dessus la maniere de bâtir en échiquier rapportée par Palladio, fig. 9.

La deuxieme maniere étoit de bâtir en liaison, avec des carreaux de brique ou de terre cuite grands ou petits. La plus grande partie des édifices de Rome connue, la rotonde, les thermes de Dioclétien & beaucoup d’autres édifices, sont bâtis de cette maniere.

La troisieme maniere (fig. 10.) étoit de faire les

  1. Parement d’une pierre est sa partie extérieure ; elle peut en avoir plusieurs, selon qu’elle est placée dans l’angle saillant ou rentrant d’un bâtiment.