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maître, ce n’étoit plus lui qui en étoit le juge, il falloit avoir recours au juge ordinaire, en quoi cette justice domestique ne ressembloit point à nos justices seigneuriales dont le principal attribut est de connoître des causes d’entre le seigneur & ses sujets, ce sont même dans certaines coutumes les seules causes dont le juge du seigneur peut connoître.

D’autres moins hardis se contentent de rapporter l’origine des justices seigneuriales à l’établissement des fiefs, lequel comme on sait ne remonte gueres qu’au commencement de la premiere race des rois ou au plutôt vers la fin de la seconde. Les comtes & autres officiers inférieurs dont les bénéfices n’étoient qu’à vie s’emparerent alors de la justice en propriété de même que des terres de leur gouvernement.

Il y a même lieu de croire que l’institution des justices seigneuriales, du moins pour les simples justices qui n’ont aucun titre de dignité, est plus ancienne que les fiefs tels qu’ils se formerent dans le tems dont on vient de parler, & que ces justices sont presque aussi anciennes que l’établissement de la monarchie, qu’elles tirent leur origine du commandement militaire que les possesseurs des bénéfices avoient sur leurs hommes qu’ils menoient à la guerre ; ce commandement entraîna depuis la jurisdiction civile sur ceux qui étoient soumis à leur conduite. Le roi commandoit directement aux comtes, marquis & ducs, aux évêques, abbés & abbesses que l’on comprenoit sous les noms de druds, leudes ou fidéles ; il exerçoit sur eux tous actes de jurisdiction ; ceux-ci de leur part faisoient la même chose envers leurs vassaux, appellés vassi dominici, vassi comitum, episcoporum, abbatum, abbatissarum ; ces vassaux étoient comme les pairs & les assesseurs des comtes & autres grands qui rendoient avec eux la justice, ils tenoient eux-mêmes du roi des bénéfices pour lesquels ils faisoient hommage au comte ou autre qui étoit leur supérieur & dans l’étendue de leur bénéfice, & avoient droit de jurisdiction, mais leur pouvoir étoit moins grand que celui des comtes.

Ces vassaux avoient sous eux d’autres vassaux d’un ordre inférieur, delà vint sans doute la distinction des justices royales & des justices seigneuriales & des différens degrés de jurisdiction.

Les leudes, comtes & ducs avoient tous au nom du roi l’exercice entier de la justice, appellée chez les Romains merum imperium, & parmi nous haute justice ; mais il n’en fut pas de même des justices exercées par leurs vassaux & arriere-vassaux : on distingua dans ces justices trois degrés de pouvoir plus ou moins étendus, savoir la haute, la moyenne & la basse justice, & les seigneurs inférieurs aux leudes, comtes & ducs n’acquirent pas tous le même degré de jurisdiction ; les uns eurent la haute justice, d’autres la haute & la moyenne, d’autres la moyenne seulement, d’autres enfin n’eurent que la basse justice ; cette différence entre les vassaux ou seigneurs exerçans la justice du degré plus ou moins éminent qu’ils avoient dans le commandement militaire.

Quoi qu’il en soit, l’idée de ces trois sortes de justices seigneuriales fut empruntée des Romains, chez lesquels il y avoit pareillement trois degrés de jurisdiction, savoir le merum imperium ou jus gladii qui revient à la haute justice ; le mixtum imperium que l’on interprête par moyenne justice, & le droit de justice appellé simplex jurisdictio qui revient à peu près à la basse justice.

Il ne faut cependant pas mesurer le pouvoir de ces trois sortes de justices seigneuriales sur les trois degrés de jurisdiction que l’on distinguoit chez les Romains ; car le magistrat qui avoit le merum imperium, connoissoit de toutes sortes d’affaires civiles & criminelles, & même sans appel ; au lieu que

parmi nous le pouvoir du haut-justicier est limité à certaines affaires.

Le juge du seigneur haut-justicier connoît en matiere civile de toutes causes, de celles personnelles & mixtes entre ses sujets, ou lorsque le défendeur est son sujet.

Il a droit de créer & donner des tuteurs & curateurs, gardiens, d’émanciper, d’apposer les scellés, de faire inventaire, de faire les decrets des biens situés dans son détroit.

Il connoît des causes d’entre le seigneur & ses sujets, pour ce qui concerne les domaines, droits, & revenus ordinaires & casuels de la seigneurie, même les baux de ces biens & droits. Mais il ne peut connoître des autres causes où le seigneur a intérêt, comme pour billets & obligations, ou réparation d’injures.

Il y a encore d’autres causes dont le juge haut justicier ne peut connoître, & qui sont reservées au juge royal ; telles sont celles qui concernent le domaine du roi, ou dans lesquelles le roi a intérêt, celles qui regardent les officiers royaux, & de ceux qui ont droit de committimus, lorsqu’ils veulent s’en servir, celles des églises cathédrales, & autres privilégiées & de fondation royale.

Il ne peut pareillement connoître des dixmes, à-moins qu’elles ne soient inféodées & tenues en fief du seigneur haut-justicier ; le juge royal a même la prévention.

Il ne peut encore connoître des fiefs, soit entre nobles ou entre roturiers, ni des complaintes en matiere bénéficiale.

Anciennement il ne pouvoit pas connoître des causes des nobles, mais la derniere jurisprudence paroît les autoriser.

Suivant l’ordonnance de 1667, titre 17. les jugemens définitifs donnés dans les matieres sommaires, dans les justices des duchés, pairies & autres, ressortissent sans moyen au parlement, nonobstant opposition ou appellation, & sans y préjudicier, quand les condamnations ne sont que de quarante livres, & pour les autres justices qui ne ressortissent pas nuement au parlement, quand la condamnation n’est que de 25 livres.

En matiere criminelle, le juge du seigneur haut justicier connoît de toutes sortes de délits commis dans sa justice, pourvû que ce soit par des gens domiciliés, & non par des vagabonds, & à l’exception des cas royaux, tels que le crime de lese-majesté, fausse monnoie, assemblées illicites, vols, & assassinats sur les grands chemins, & autres crimes exceptés par l’ordonnance de 1670.

Il peut condamner à toutes sortes de peines afflictives, même à mort ; & en conséquence, il doit avoir des prisons sûres & un geolier, & il a droit d’avoir des fourches patibulaires, piloris, échelles & poteaux à mettre carcan ; mais les sentences qui condamnent à peine afflictive, ne peuvent être mises à exécution, soit que l’accusé s’en plaigne ou non, qu’elles n’ayent été confirmées par le parlement.

L’appel des sentences du haut justicier en matiere civile, doit être porté devant le juge de seigneur supérieur, s’il en a un, sinon au bailliage royal ; les appels comme de juge incompétent & deni de renvoi, & ceux des jugemens en matiere criminelle, sont portés au parlement omisso medio.

Le juge haut-justicier exerce aussi la police & la voirie.

Le seigneur haut-justicier jouit à cause de sa justice de plusieurs droits, savoir de la confiscation des meubles & immeubles qui sont en sa justice, excepté pour les crimes de lese-majesté & de fausse-monnoie ; il a pareillement les deshérences & biens