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Page:Diderot - Le Neveu de Rameau.djvu/127

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Tandis qu’il me parlait ainsi, la foule qui nous environnait, ou n’entendant rien, ou prenant peu d’intérêt à ce qu’il disait, parce qu’en général l’enfant comme l’homme, et l’homme comme l’enfant, aime mieux s’amuser que s’instruire, s’était retirée ; chacun était à son jeu, et nous étions restés seuls dans notre coin. Assis sur une banquette, la tête appuyée contre le mur, les bras pendants, les yeux à demi-fermés, il me dit :

— Je ne sais ce que j’ai : quand je suis venu ici, j’étais frais et dispos, et me voilà roué, brisé, comme si j’avais fait dix lieues ; cela m’a pris subitement.

MOI. — Voulez-vous vous rafraîchir ?

LUI. — Volontiers. Je me sens enroué, les forces me manquent, et je souffre un peu de la poitrine. Cela m’arrive presque tous les jours comme cela, sans que je sache le pourquoi.

MOI. — Que voulez-vous ?

LUI. — Ce qui vous plaira ; je ne suis pas difficile : l’indigence m’a appris à m’accommoder de tout.

On nous servit de la bière, de la limonade ; il en remplit un grand verre qu’il vide deux ou