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Page:Diderot - Le Neveu de Rameau.djvu/16

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on n’assomme personne dans une ville bien policée. C’est un état honnête ; beaucoup de gens, même titrés, s’en mêlent. Et à quoi diable voulez-vous donc qu’on emploie son argent, si ce n’est à avoir bonne table, bonne compagnie, bons vins, belles femmes, plaisirs de toutes les couleurs, amusements de toutes les espèces ? J’aimerais autant être gueux que de posséder une grande fortune sans aucune de ces jouissances. Mais revenons à Racine. Cet homme n’a été bon que pour des inconnus, et que pour le temps où il n’était plus.

MOI. — D’accord ; mais pesez le mal et le bien. Dans mille ans d’ici, il fera verser des larmes ; il sera l’admiration des hommes dans toutes les contrées de la terre ; il inspirera l’humanité, la commisération, la tendresse. On demandera qui il était, de quel pays ; et on l’enviera à la France. Il a fait souffrir quelques êtres qui ne sont plus, auxquels nous ne prenons presque aucun intérêt ; nous n’avons rien à redouter ni de ses vices, ni de ses défauts. Il eût été mieux sans doute qu’il eût reçu de la nature la vertu d’un homme de bien, avec les talents d’un grand homme. C’est un arbre qui a