de sa liberté. Ils sentent tout le prix de cette grâce ; mais si, comme ils croient pouvoir s’en flatter, l’intention de Votre Grandeur, touchée de leur situation, a été de mettre le sieur Diderot en état de travailler à l’Encyclopédie, ils prennent la liberté de lui représenter très-humblement que c’est une chose absolument impraticable ; et, fondés sur la persuasion dans laquelle ils sont que Votre Grandeur a la bonté de s’intéresser à la publicité de cet ouvrage et aux risques qu’ils courraient d’être ruinés par un plus long retard, ils mettent sous ses yeux un détail vrai et circonstancié des raisons qui ne permettent pas que le sieur Diderot continue à Vincennes le travail de l’ Encyclopédie.
Il faut distinguer plusieurs objets dans l’édition de ce dictionnaire universel des sciences, des arts et des métiers : l’état actuel des matériaux qui doivent composer cet ouvrage, le travail à faire sur ces matériaux, la direction des dessins, des gravures et de l’impression. Votre Grandeur se convaincra facilement, en parcourant chacun de ces objets, qu’il n’y en a pas un qui n’offre des difficultés insurmontables dans l’éloignemnt.
ÉTAT ACTUEL DES MATÉRIAUX.
Ces matériaux doivent être divisés en deux classes : les sciences, les arts et métiers. Les grandes parties qui appartiennent aux sciences sont toutes rentrées, mais elles ne sont pas pour cela entièrement complètes. Les articles généraux, comme en chirurgie, le mot chirurgie, en médecine, le mot médecine, et quelques autres de cette nature, sont demeurés entre les mains des auteurs, qui ont désiré de les méditer attentivement pour leur donner toute la perfection dont ils sont susceptibles.
Le sieur Diderot s’est contenté de tenir une note exacte de ces différents articles à rentrer ; mais, pour les avoir à temps, il est nécessaire qu’il voie les auteurs, qu’il confère avec eux, et qu’ils travaillent conjointement à lever les difficultés qui naissent de la nature des matières.
Les articles qui lui ont été remis ne demandent pas moins sa présence à Paris et exigent qu’il soit à la portée des auteurs qui les ont traités ; son travail à cet égard consiste principalement dans la révision et la comparaison des diverses parties de l’ouvrage. Chacun de ces auteurs a exigé qu’il ne se fit aucun changement à son travail sans qu’il en ait été conféré avec lui, et cela est d’autant plus juste, que l’éditeur, quoique versé dans la connaissance de chacune des parties, ne peut pas être supposé les posséder toutes assez profondément pour pouvoir se passer des lumières du premier auteur, qui d’ailleurs en répond aux yeux du public, parce qu’il est nommé. Si le sieur Diderot était obligé de travailler à Vincennes, il serait privé de ce secours nécessaire, parce que les gens de lettres se déplacent difficilement, et qu’il faudrait se jeter dans des dissertations par écrit qui n’auraient pas de fin : ces éclaircissements, dont aura souvent besoin l’éditeur, peuvent se présenter subitement au milieu d’un article ; la distance des lieux ne lui permettant pas d’avoir recours à l’autour, il faudrait en suspendre la révision et passer à un autre article qui pourrait offrir les mêmes difficultés, ou l’exposer à oublier des choses essentielles, et à donner au public un ouvrage informe et rempli de négligences.
Entre les arts, il y en a quelques-uns qui ne sont que commencés et quelques autres qui sont encore à faire ; c’est un travail qui demande absolument que le sieur Diderot se rende chez les ouvriers, ou qu’ils se transportent chez lui : ces deux choses sont également impraticables à Vincennes ; mais, quand les ouvriers consentiraient à l’aller trouver, ils ne pourraient pas apporter leurs outils et leurs