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116 NOTICE PRÉLIMINAIRE.

L’abbé fut exilé, et l’Encyclopédie supprimée après le second volume, par arrêt du Conseil du 7 février 1752[1].

Ce n’était qu’un premier avertissement. Le comte d’Argenson, à qui l’ouvrage était dédié et qui était, comme dit Voltaire[2], « digne de l’entendre et digne de le protéger », intervint, et l’interdiction fut levée en 1753. D’Alembert avait tenu bon contre cet orage, et il répondait, le 24 août de la même année, à Voltaire, qui l’engageait à aller en Prusse pour continuer la publication interrompue :

« Diderot et moi nous vous remercions du bien que vous avez dit de l’ouvrage dans votre admirable Essai sur le siècle de Louis XIV ; nous connaissons mieux que personne tout ce qui manque à cet ouvrage. Il ne pourrait être bien fait qu’à Berlin, sous les yeux et avec la protection et les lumières de votre prince philosophe ; mais enfin nous commencerons, et on nous saura peut-être à la fin quelque gré. Nous avons essuyé cet hiver une violente tempête ; j’espère qu’enfin nous travaillerons eu repos. Je me suis bien douté qu’après nous avoir aussi maltraités qu’on a fait, on reviendrait nous prier de continuer ; et cela n’a pas manqué. J’ai refusé pendant six mois ; j’ai crié comme le Mars d’Homère ; et je puis dire que je ne me suis rendu qu’à l’empressement extraordinaire du public. J’espère que cette résistance si longue nous vaudra dans la suite plus de tranquillité. Ainsi soit-il. »

De son côté, Grimm annonçait dans sa Correspondance (lettre de novembre 1753) la reprise de la publication :

« Voici enfin le troisième volume de l’ Encyclopédie entreprise par une société de gens de lettres, sous la direction de M. Diderot. Toute l’Europe a été témoin des tracasseries qu’on a suscitées à cet important ouvrage, et tous les honnêtes gens en ont été indignés. Qui, en effet, pourrait être spectateur tranquille des haines, de la jalousie, des projets abominables tramés par les faux dévots, et couverts du manteau de la religion ? Peut-on s’empêcher de rougir pour l’humanité, quand on voit que la religion du prince même est surprise, que le gouvernement et la justice sont prêts à donner du secours aux complots odieux qu’avait formés le faux zèle ou peut-être l’hypocrisie lors de l’affaire scandaleuse de M. l’abbé de Prades, pour envelopper dans la plus injuste persécution tout ce qui reste à la nation de bonnes têtes et d’excellents génies ? Malheureusement pour les Jésuites il n’était pas aussi facile de continuer l’ Encyclopédie que de perdre des philosophes qui n’avaient pas d’autre appui dans le monde que leur amour pour la vérité et la conscience de leurs vertus, faibles ressources auprès de ceux qui ont le pouvoir en main, et qui, exposés aux fausses insinuations, aux surprises, à la précipitation, à des écueils sans nombre, ont mille moyens d’être injustes, tandis qu’il ne leur en reste qu’un seul pour être justes. Tout était bien concerté : on avait déjà enlevé les papiers de M. Diderot. C’est ainsi que les Jésuites comptaient défaire une Encyclopédie déjà toute faite ; c’est ainsi qu’ils comptaient avoir la gloire de toute cette entreprise, en arrangeant et mettant en ordre les articles qu’ils croyaient tout prêts. Mais ils avaient oublié d’enlever au philosophe sa tête et son génie, et de lui demander la clef d’un grand nombre d’articles que, bien loin de comprendre, ils s’efforçaient en vain de déchiffrer.

  1. « Tout cet orage, dit Barbier (Journal, février 1752), est venu par le canal des Jésuites et par l’ordre de M. de Mirepoix, qui a un grand crédit ecclésiastique sur l’esprit du roi. »
  2. Lettres sur quelques écrivains accusés l’athéisme.