Page:Dieulafoy - La Perse, la Chaldée et la Susiane.djvu/143

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Téhéran et peindre son portrait dans chacun de ses palais. Sa résidence, le Négaristan, est à ce sujet des plus curieuses à visiter.

Derrière une porte monumentale flanquée de bâtiments réservés aux soldats de garde s’étend un parc superbe, planté de ces platanes émondés particuliers aux jardins persans ; la taille élevée de ces arbres permet à l’air de circuler pendant la nuit et de rafraîchir la température, toujours étouffante sous les ombrages bas et épais. On suit d’abord une avenue composée de cinq allées bordées de canaux remplis d’une belle eau courante ; au bout de cette avenue s’élève un vaste pavillon en forme de croix grecque, éclairé à l’extrémité de chacun de ses bras par une verrière colorée. Entre les bras de la croix sont ménagés des vestibules et deux chambres de repos. La pièce centrale est recouverte d’une coupole et de quatre berceaux symétriquement disposés, revêtus d’épaisses et lourdes décorations de plâtre peintes en vives couleurs et rehaussées d’or. Au delà de cette première construction s’étendent les jardins de l’andéroun ; un grand rideau les sépare du biroun et met les promeneuses à l’abri des regards indiscrets.

Le palais réservé à la vie intime du souverain se trouve dans cette deuxième enceinte. Il est de forme rectangulaire ; les murs extérieurs sont dépourvus d’ouvertures, toutes les pièces prenant jour sur une cour à laquelle on accède par une porte basse et étroite suivie d’un corridor coudé. Un vaste bassin de marbre blanc occupe le centre de l’habitation des femmes ; il est entouré d’un passage dallé servant de dégagement aux chambres des favorites, toutes logées dans cette partie du palais. Leurs petits appartements se composent de deux pièces étroites éclairées par la porte, qui devait rester ouverte pour laisser entrer l’air et la lumière. A-t -elle dû être témoin de poignantes scènes de jalousie et de désespoir ! a-t -elle vu naître et grandir d’ardentes rivalités, cette retraite où l’on parquait pêle-mêle les infortunées destinées à satisfaire les passions d’un souverain dont l’indifférence paraissait encore plus redoutable que la brutalité !

Au centre de l’une des façades s’élève le pavillon royal, orné à l’intérieur d’une grande peinture murale représentant Fattaly chah entouré de ses douze fils aînés. Il est assis sur un trône d’or enrichi de pierreries et surmonté d’un baldaquin reposant sur des colonnes torses ; dans L'entre-colonnement sont disposés des vases étroits contenant des fleurs d’émeraudes et de turquoises. Le roi, vêtu d’une koledja dont les pans recouvrent les jambes repliées en arrière, est coiffé d’une tiare ornée de rubis et de diamants, et s’appuie sur un coussin brodé de perles fines ; il tient à la main un sabre et un chapelet. Ses douze fils, placés sur deux étages, portent des robes s’élargissant en forme d’entonnoir ; toutes les coutures et les bords de ces vêtements sont garnis d’un rang de grosses perles. Les princes ne sont pas couronnés de la tiare des souverains, mais de diadèmes de pierreries, et rappellent dans leur attitude et leur costume les rois de nos plus vieux jeux de cartes.

En tête des longs panneaux peints sur les faces latérales de la pièce, l’artiste a représenté les ambassadeurs de France et d’Angleterre, le général Gardanne et sir John Malcolm, chaussés des longs bas rouges mis autrefois, suivant les lois de l’étiquette persane, avant de paraître devant le souverain. Une double procession de personnages superposés s’étend à leur suite jusqu’au fond de la pièce : ce sont les portraits de ministres ou de grands dignitaires. Tous sont habillés d’amples robes de cachemire ou de brocart d’or bordées de fourrures, et coiffés de larges turbans ou de bonnets surmontés d’agrafes de pierres précieuses.

Si l’on veut se faire une idée bien exacte de certains côtés de la vie des souverains orientaux, il est intéressant de visiter dans le même palais la salle souterraine, résidence d’été de Fattaly chah. On y descend en suivant une étroite galerie qui conduit d’abord dans un vestibule, puis dans une salle octogone recouverte d’une coupole et éclairée à sa partie supérieure par