Page:Dieulafoy - La Perse, la Chaldée et la Susiane.djvu/157

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

De ce point le regard embrasse toute la plaine. Au sud, du côté du désert, se présente la lande sans bornes, rouge comme le soleil couchant ; au nord, entre la mosquée et la montagne, on aperçoit les murs de terre d’une immense kalè (forteresse) ; autour de cette enceinte, sur un rayon de sept à huit kilomètres, s’étend une ceinture de forts détachés, comparables aux ouvrages disposés en avant de nos places de guerre. Le village lui-même est dominé par une citadelle en assez bon état de conservation et sans doute utilisée dans l’ancien système de défense. Il serait intéressant de pousser plus loin notre promenade, mais la nuit tombe et nous devons mettre notre vie en harmonie avec celle des villageois. En été chacun ici se couche et se lève avec le soleil ; le soir on sort des maisons les couvre-pieds, les oreillers et les couvertures, on les étend sur les terrasses ou dans

La Masjed Djouma de Véramine (vue intérieure)

les jardins et l’on s’endort dès que la nuit est close. A l’aube, les rayons du soleil et les mouches réveillent les plus paresseux ; à quatre heures toute la population du village est sur pied et vaque à ses occupations jusqu’à huit heures du matin. La chaleur devient alors si intense qu’on se retire dans les maisons, où l’on s’abandonne aux douceurs du sommeil. Ce repos est sacré, et l’après-midi on doit même s’interdire de donner des ordres aux domestiques, toujours plus mécontents d’être dérangés pendant leur sieste que durant le repos de la nuit. Vers le soir l’air se rafraîchit et la vie reprend son cours normal.

16 juin. — A l’aurore, les chevaux sont sellés ; nous allons visiter la kalè centrale. C’est une vaste enceinte rectangulaire bâtie en matériaux de terre crue et flanquée de tours défensives, distantes de trente mètres les unes des autres. La forme des matériaux n’est plus apparente, et les murs de terre paraissent construits, comme ceux de Kouyoundjik ou de Khorsabad, avec des briques posées encore humides les unes au dessus des autres et agglomérées au point de composer une masse compacte. Ce procédé de construction n’ayant jamais à ma connaissance été employé par les musulmans, nous nous trouvons sans doute en présence d’un ouvrage sassanide plus ancien que les remparts de Reï. D’après les traditions locales, l’origine de cette fortification remonterait au temps de Féridoun, héros favori des anciens poètes persans dont le nom légendaire a été chanté par Firdouzi. Ces renseignements sont peu concluants ; je dois cependant m’en contenter, car on ne découvre à l’intérieur de l’enceinte ni mur ni tumulus dont l’examen ou les fouilles puissent fournir des données certaines sur l’âge et l’histoire de la fortification. Marcel incline à croire que cette kalè, pourvue de kanots qui amenaient en tous points une eau fraîche et limpide, est un ancien camp retranché. Tout autour de l’enceinte nous visitons les forts isolés que nous avons aperçus hier du haut de la masdjed djouma. Situés sur des tumulus très élevés et composés