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furent construits plus tard sous les dynasties des Moutons Blancs et des Moutons Noirs, spécialement représentés par la mosquée Bleue de Tauris.

Depuis longtemps Marcel est revenu de cette idée préconçue, emportée pour ainsi dire avec ses bagages, que la décoration de faïence d’un bon style était exécutée au moyen de carreaux appliqués en revêtement. Le carreau est une œuvre de décadence.

Le plus ancien monument que nous ayons visité, c’est-à-dire le petit pavillon guiznévide joint à l’imamzaddè Yaya, ne présente dans sa décoration aucune trace d’émail. Tous les ornements superficiels sont exécutés en briques entières, posées de champ.

Sous les Seljoucides, le caractère de la construction change peu ; on commence néanmoins à voir apparaître dans les parements quelques rehauts de faïence bleu turquoise appliqués directement sur la tranche des briques ; mais ces rehauts sont encore très rares et distribués avec parcimonie.

Vers 1350 les dessins se compliquent et les — couleurs se multiplient ; enfin, à l’époque où nous reporte la tour de Véramine, on intercale dans les frises des briques carrées, sur lesquelles sont tracées en relief des lettres émaillées, afin de simuler, sans grande dépense, le travail très délicat exécuté jusqu’alors en mosaïque.

La construction de la mosquée Bleue de Tauris ouvre une ère nouvelle à la décoration ; les combinaisons géométriques ont perdu toute valeur artistique par la complication même de leur tracé ; les architectes, en quête de nouveauté, substituent aux lignes droites qui servaient à composer les mosaïques une ornementation plus libre, puisant surtout dans le règne végétal ses formes élémentaires ; mais, s’ils modifient les tracés, ils ne touchent point au système, c’est-à-dire que chaque pétale, chaque fleur sont découpés dans des briques épaisses juxtaposées les unes à côté des autres de manière à former une véritable marqueterie. La décadence commence sous les Séféviehs.

Pendant le règne de chah Tamasp, le restaurateur malheureux du tombeau de chah Khoda Bendeh et de la masdjed Chah à Kazbin, les briques sans émail, jugées indignes de figurer dans les édifices royaux, ne sont plus utilisées qu’à titre de matériaux ou dans les encadrements. La conséquence de cet emploi abusif des surfaces émaillées se fait bientôt sentir. A la mosaïque, trop coûteuse pour être exécutée sur de grandes superficies, on substitue des carreaux plats sur lesquels on reproduit au pinceau les dessins formés autrefois par la juxtaposition des fragments colorés ; déjà à Tauris les maîtres mosaïstes ont ajouté au bleu clair, au bleu foncé et au blanc le noir, le jaune feuille morte et le vert ; sous le règne de chah Abbas, en même temps que l’usage des carreaux de faïence se généralise, la palette du décorateur se complète ; les panneaux perdent peu à peu la sobriété de tons et de lignes qui les a distingués jusque-là, les bonnes traditions tombent en oubli, le goût s’abâtardit. De transition en transition les peintres arrivent à composer soit de grands panneaux à fond blanc avec fleurs roses et rouges, soit des tableaux de bataille où le valeureux Roustem perce de ses flèches acérées les diables et les dives, soit enfin, dans les palais du roi et de ses fils, ces abominables soldats plus grands que nature, dont le dessin et la coloration barbares attestent la chute absolue d’un art autrefois si brillant et si décoratif.

Ainsi, il faut bien en prendre son parti, ces carreaux de faïence, que beaucoup d’artistes considèrent à l’heure actuelle comme le dernier mot de la décoration persane, sont des productions de la décadence. Il suffit d’ailleurs d’examiner les merveilleux chefs-d’œuvre de l’art du Moyen Age pour n’avoir plus de doute à ce sujet.

En revenant à Véramine, nous passons sur la principale place du village ; l’animation est grande : c’est jour de marché ; les paysans des environs sont venus vendre leur blé,