Page:Dieulafoy - La Perse, la Chaldée et la Susiane.djvu/197

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congestionnées. J’éprouve d’abord un saisissement extrême, suivi d’un étrange bien-être.

En reprenant possession de moi-même, je crois entendre le bruit d’une querelle dans le balakhanè. Le gardien, accompagné de deux serviteurs, a voulu obliger les israélites à céder cette pièce aux usufruitiers des montures royales ; ceux-là, déclarant qu’ils sont arrivés les premiers, refusent de sortir. Je ne me suis pas encore rendu bien compte du motif de la querelle, que les couvertures, les mafrechs, les marmites, les aiguières, les provisions de ménage, enfin tout le mobilier de ces pauvres diables dégringole par la fenêtre. Les victimes ne paraissent guère surprises de cette incroyable façon de les traiter ; les juifs sont si méprisés et si humiliés dans ce pays, où la plupart d’entre eux exercent des professions peu avouables, qu’ils ne songent pas même à se plaindre des injustices et des brutalités dont on les accable.

Le balakhanè, vaste et bien aéré, est mis à notre disposition ; à travers les baies qui

Le gouverneur de Koum

l’éclairent dans la direction des quatre points cardinaux, je puis admirer à l’aise le panorama de Koum.

Comme à Mamounieh, les maisons sont surmontées de petites coupoles dont la forme reste apparente à l’extérieur.

Cette multitude de dômes rougis par les rayons du soleil s’éclaire par taches éclatantes et va en s’estompant se perdre dans une légère brume bleuâtre qui s’élève au pied des montagnes. Au loin apparaissent les toits pointus des tombeaux des Cheiks. Sur la gauche s’étendent les beaux jardins qui entourent le célèbre tombeau de Fatma.

2 août. — Nous dormions encore quand nos serviteurs sont entrés fort émus dans le balakhanè : « Çahebs, le gouverneur de Koum, Mirza Mehti khan, ayant appris votre arrivée, envoie trente ferachs. Ils sont chargés de vous souhaiter la bienvenue et de vous prier de venir loger au palais, ce caravansérail étant indigne de personnages de votre condition. »

Les domestiques se mettent en procession, nous guident vers un pont jeté sur une rivière sans eau, longent les ruines d’une mosquée dont les deux minarets sont encore debout, traversent des bazars, un cimetière, des ruelles tortueuses, et s’arrêtent enfin devant un portail couvert d’ornements stuqués. Cette entrée donne accès dans la première cour du palais, encombrée d’un nombreux personnel de soldats et de prêtres assis sous des arcades voûtées. Des voleurs attachés les uns aux autres par des colliers de fer sont exposés nu-tête au grand soleil.

Le gouverneur de Koum est l’époux d’une fille du chah. Pendant l’été la princesse quitte la ville, une des plus chaudes de la Perse, et se relire dans la montagne avec ses femmes et ses enfants. L’andéroun étant vide, le prince a donné l’ordre de nous loger dans cette partie retirée du palais.

L’imagination des Européens se surexcite vivement au seul mot d’andéroun ou de harem