Page:Dieulafoy - La Perse, la Chaldée et la Susiane.djvu/209

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compartiments par des contreforts intérieurs sur lesquels viennent buter les arcs-doubleaux et les formerets. Un passage ménagé au centre des galeries dessert tout à la fois les estrades réservées aux muletiers et les boxes dans lesquels on enferme les chevaux.

En été les voyageurs de distinction occupent pendant la journée les zirzamins, creusés à cinq mètres au-dessous du sol, au fond desquels aboutissent des escaliers servant en même temps de cheminée d’aération. La fraîcheur est délicieuse dans ces caves, qu’éclaire un demi jour qui invite au repos. A la nuit les heureux possesseurs de zirzamin quittent leurs logements souterrains, où les bêtes venimeuses seraient attirées par la lumière, et vont sur le takht, large estrade découverte, élevée de deux mètres au-dessus du sol et entourée de fossés pleins d’eau. Les voyageurs montent à cette place stratégique en se servant d’une échelle, qu’ils s’empressent de retirer dès que l’ascension est terminée. Ces minutieuses précautions permettent de se préserver des scorpions, fort nombreux dans le pays et dont la piqûre est souvent mortelle.

8 août. — Au delà de Nasrabad la contrée est aride et poussiéreuse ; mais bientôt apparaissent les tumulus coniques indiquant la présence de kanots d’irrigation ; la plaine devient fertile, et au pied de la montagne j’aperçois de nombreux villages cachés sous la verdure. Partout où se portent mes regards s’étendent des champs de melons, de pastèques, de concombres et d’immenses plantations de coton et de tabac.

Un vaste caravansérail précède Kachan ; nos montures ont déjà franchi la porte d’entrée quand deux serviteurs se présentent. Ils viennent de la part de leur maître, le directeur du télégraphe, nous prier de descendre à la station, où un appartement nous est préparé, sur la recommandation gracieuse du colonel Smith, super intendant de la ligne télégraphique anglaise qui relie les Indes a la métropole.

Kachan, d’après plusieurs écrivains orientaux, fut fondé par la célèbre sultane Zobeïde, femme du calife Haroun el-Rachid. Ces auteurs font allusion, j’imagine, à l’origine de la ville musulmane, car un célèbre historien, Ibn el-Acim, assure que Kachan et Koum fournissaient vingt mille soldats aux armées du dernier monarque sassanide.

L’histoire de Kachan est intimement liée à celle d’Ispahan, sa célèbre voisine. Les Afghans la dévastèrent au dix-huitième siècle ; Hadji Houssein khan la rebâtit et reconstruisit les palais et les édifices religieux de la capitale des rois sotis.

Aujourd’hui encore cette cité, plus riche et plus industrieuse que ne le sont les villes persanes, paraît en pleine prospérité. Les maisons, bâties en matériaux de terre, sont entretenues avec soin ; les murs, bien dressés, n’encombrent pas les rues de leurs débris poussiéreux ; presque toutes les voies sont pavées et munies d’un ruisseau central qui écoule les eaux pluviales ou ménagères ; des dalles de pierre placées au-dessus des pu ils des kanots permettent aux piétons et aux cavaliers de circuler sur les chaussées sans risque d’accident ; enfin — ce détail paraîtra très extraordinaire aux voyageurs habitués à la saleté proverbiale des villes d’Orient — les rues sont balayées.

Le bazar, largement percé et recouvert de petites coupoles accolées, est coupé de distance en distance par les portes de vastes caravansérails à marchandises, qu’il faut se garder de confondre avec les abris de caravane désignés sous le même nom. Ceux-ci s’ouvrent a la première réquisition des voyageurs, tandis que ceux-là sont des entrepôts, de véritables docks, où l’on ne donne asile ni aux gens ni aux animaux. Autant la construction des hôtelleries est simple et peu coûteuse, autant les docks sont bâtis et décorés avec luxe.

Un des plus beaux types de ce genre d’édifice est le caravansérail Tasa (Neuf), élevé aux frais d’une corporation de marchands.

Il se présente sous la forme d’un prisme carré dont on aurait abattu les angles. Deux des