minces matelas placés au-dessous du carillon viennent augmenter l’épaisseur de nos lahafs, tandis que de belles bûches empruntées au traversin du Père élèvent nos oreillers. Le jour et le chant des rossignols, perchés sur de hauts peupliers dont les cimes atteignent jusqu’aux baies de notre logis, me réveillent de bonne heure ; je pourrais presque saisir les chanteurs avec la main si je ne craignais d’interrompre leur concert matinal. Au lever du soleil, le paysage s’éclaire de lueurs rosées, et une harmonie radieuse s’établit entre les arbres des jardins verdoyants, le lit bleuté du Zendèroud, les coupoles émaillées et les noirs platanes d’Ispahan. Je regarde et je m’extasie devant cette splendide nature, quand un vacarme infernal me rappelle brusquement à la vie réelle. La cloche du couvent tient les promesses du Père et sonne à toute volée. 11 est temps de se précipiter du haut en bas de l’escalier et de pénétrer dans l’église, où depuis deux heures déjà les offices préparatoires sont commencés.
La chapelle est grande ; les murs, enduits au plâtre, supportent une voûte décorée dans le goût italien du dix-huitième siècle.
Quelques tableaux de sainteté, peints par les Dominicains anciens possesseurs du couvent, donnent à ce sanctuaire l’aspect d’une église de la Toscane, tandis que de beaux tapis étendus sur le sol rappellent les mosquées musulmanes et amortissent le bruit des pas des arrivants, qui déposent d’ailleurs leurs chaussures à la porte.
Les Arméniens unis sont au nombre de trois cents environ ; tout le reste de la population de Djoulfa est schismatique et vit sous la direction d’un évêque nommé par le catholicos d’Echmyazin et de trois prêtres subalternes.
Agenouillés sur de minces coussins, les hommes occupent le haut de la nef. Ils sont vêtus de redingotes croisées sur la poitrine, laissant apparaître une chemise sans col, bordée d’une passementerie blanche ; le kolah noir et l’ample pantalon indigo complètent un ajustement qui n’a rien d’élégant. Les femmes sont assises les unes auprès des autres au fond de l’église. De grands foulards drapés avec art sur leurs têtes, des robes de soie taillées en forme de redingote et serrées sur les hanches par une ceinture de filigrane d’argent composeraient un charmant costume, si un épais voile blanc ne venait cacher la partie inférieure du visage et la déformer sous sa pression constante ; les Arméniennes portent ce bandeau quand elles sortent, et le conservent même dans leurs maisons dès qu’elles sont mariées. À l’église comme dans la rue, les chrétiennes sont couvertes des pieds à la tête d’un grand manteau de calicot blanc qu’elles savent draper avec une habileté consommée et dont elles ne cessent de manœuvrer les larges plis si elles ont à faire valoir l’élégance de leur toilette ou la forme de leur taille élancée.
La messe commence, chantée sur un ton nasillard par les clercs placés sous la haute direction de Kadchik, qui joint à son emploi de portier, d’écuyer et de valet de chambre celui de maître de chapelle, et n’a pas son pareil pour crier comme quatre au moment où s’égare la voix de ses acolytes.