Page:Dieulafoy - La Perse, la Chaldée et la Susiane.djvu/239

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L’office est écrit en vieil arménien. Les fidèles, cela va sans dire, ne comprennent pas mieux cette langue que nos dévotes n’entendent le latin.

Dans les moments solennels, deux enfants de chœur s’avancent vers l’autel ; ils portent à la main de longues hampes de bois entourées de voiles de pourpre et surmontées d’une plaque de cuivre, qu’ils agitent de manière à faire résonner des anneaux de métal enfilés tout autour du disque.

Après la messe, les femmes et les artisans sortent du monastère ; les gens de distinction viennent saluer le Père dans un vaste parloir, où les sacristains servent le thé. La réunion est nombreuse aujourd’hui. A l’arrivée d’un chrétien dans une ville persane, il est d’usage que tous ses coreligionnaires lui fassent la première visite et lui souhaitent la bienvenue. Aussi voyons-nous défiler ce matin des représentants de nationalités différentes. Tous n’ont pas assisté à l’office, parce que la plupart pratiquent la religion anglicane ou luthérienne, mais ils se sont néanmoins empressés de venir rendre leurs devoirs aux hôtes du couvent.

L’évêque schismatique, suivi de ses vicaires, fait d’abord son entrée. Nous recevons ensuite MM. Collignon et Muller, gérants d’une importante maison de commerce hollandaise, ils parlent très bien le français et nous invitent à venir visiter leur fabrique d’opium ; puis arrive un négociant bagdadien, Kodja Yousouf, accompagné de sa charmante femme ; le directeur du télégraphe indo-européen se présente à son tour et après lui un riche Djoulfaien qui marie son fils dans deux jours et vient nous prier d’assister aux fêtes données à cette occasion.

La bonne grâce avec laquelle chacun nous accueille est vraiment touchante.

18 août. — À tout seigneur tout honneur : l’évêque arménien a reçu ce matin notre première visite.

Sa vaste demeure, qualifiée du titre pompeux de palais, longe une rue ombragée par des arbres au feuillage assez épais pour abriter les passants des rayons du soleil et plonger dans une demi-obscurité les porches construits devant les maisons. On pénètre d’abord dans une vaste cour et l’on trouve en face de soi l’entrée de l’église épiscopale ; elle est dose pendant la semaine ; à gauche de la grande porte s’ouvre une longue galerie où reposent couchés dans leurs sarcophages de pierre les corps des évêques arméniens morts en défendant les droits de cette poignée de chrétiens égarée au milieu du monde musulman. A l’extrémité de la salle funéraire se présente une cour, sur laquelle s’éclairent des appartements très modestes.

Le prélat, quoique jeune, remplit avec beaucoup de tact les devoirs difficiles de son ministère. Ses manières sont empreintes d’une parfaite distinction. ( ne grande robe de cachemire grenat drape sa taille élancée, et un capuchon de soie noire met en relief une physionomie pleine de douceur. Comme tous les hauts dignitaires du clergé arménien, il fait partie de l’ordre des moines : seuls, en effet, les religieux qui ont prononcé des vœux de chasteté et vécu dans les couvents, où ils font de fortes études théologiques, peuvent aspirer à l’épiscopat, tandis que les membres du clergé séculier, autorisés à se marier une seule fois dans leur vie, renoncent à tout avancement dans la hiérarchie ecclésiastique et remplissent les fonctions dévolues à nos desservants.

L’évêque officie toutes les semaines, mais les fidèles ne sont conviés aux cérémonies qu’aux jours de grandes fêtes, car les Arméniens croiraient manquer de respect envers le saint sacrifice de la messe s’ils assistaient à sa célébration quotidienne. Les prélats arméniens relèvent du patriarche d’Echmyazin, le catholicos, qui les nomme et les consacre. Le pape, à leur avis, serait le premier des évêques de la chrétienté et aurait même le droit de présider les conciles : toutefois ils ne sauraient le considérer comme le chef suprême de l’Église.

En somme, les différences qui séparent les schismatiques des catholiques sont si peu