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Après avoir rendu hommage au conquérant et attaché à son bonnet l’aigrette de diamants, emblème du pouvoir suprême, Houssein reçut l’ordre de se retirer au fond d’un petit palais, où il vécut sept années dans une captivité relativement douce. Plus tard les envahisseurs, ayant éprouvé quelques revers et redoutant un changement de fortune, mirent fin à sa triste existence.

Ispahan avait cruellement souffert pendant le siège. Non seulement la majeure partie de la population avait péri, mais les campagnes et les villages étaient saccagés, les kanots obstrués. Kérim khan en transférant la capitale à Chiraz, sa patrie, et la dynastie kadjar en ramenant le siège du gouvernement dans le nord, consommèrent sa ruine. La majeure partie de la population s’exila, les palais les plus vastes et les édifices les plus beaux furent abandonnés.

Et pourtant ce sont les monuments élevés sous les règnes des princes sofis qui embellissent encore la ville, et c’est dans l’enceinte des palais de chah Abbas et de ses successeurs que se trouvent les constructions civiles les plus intéressantes à étudier.

Le pavillon des Tcheel-Soutoun (Quarante-Colonnes), vers lequel nous conduit d’abord Mirza Taghuy khan, est situé au milieu d’une immense cour entourée de murailles peu élevées et plantée de vieux arbres et de rosiers arborescents. Au nord, un long bassin rempli d’eau conduit le regard jusqu’à des degrés de marbre blanc, servant de soubassement à une terrasse couverte, placée au-devant du palais.

Le pavillon des Tcheel-Soutoun, bâti par chah Houssein, paraît avoir été élevé sur les fondations d’un palais de chah Abbas, qui succédait lui-même à un édifice sassanide, ainsi que semblent l’attester quelques fragments de sculpture incrustés dans les murailles de l’enceinte.

L’ancien monument fut incendié pendant une fête sous le règne de chah Houssein. Il eut été facile d’arrêter les progrès du feu, disent les chroniques, mais le souverain craignit de pécher en cherchant à s’opposer aux manifestations de la volonté divine et donna l’ordre de laisser brûler l’édifice, tout en promettant de le faire reconstruire superbement.

Dix-huit colonnes de bois, revêtues de miroirs taillés en forme de losange, supportent la toiture jetée au-devant du palais ; celles qui sont au centre du porche reposent sur des lions qui lancent des jets d’eau dans un bassin de marbre placé en face de la salle du trône. Une corniche en mosaïque de bois entremêlée d’étoiles scintillantes soutient le plafond, divisé en compartiments carrés, garnis de glaces biseautées et de prismes de cristal.

Le porche précède un talar recouvert d’une demi-coupole aux alvéoles de cristal sertis dans une monture métallique. De chaque côté de cette salle, où était placé le trône royal, emporté ou détruit à l’époque de l’invasion afghane, se présentent deux appartements, destinés l’un au souverain, l’autre à ses ministres. Toute l’ornementation extérieure de ces pièces et de la salle du trône est formée par la juxtaposition de miroirs de toutes tailles entourés de cadres dorés.

En l’état actuel il est difficile d’apprécier le mérite de cette décoration brillante, toute particulière à la Perse ; les glaces, dont le tain est terni, sont couvertes d’une épaisse couche de poussière et ont aujourd’hui toute l’apparence de vieilles plaques d’argent bruni et oxydé. La variété des miroirs et des cadres nuit d’ailleurs bien moins qu’on ne pourrait le croire à l’ensemble général. Les légers ornements vénitiens ne jurent pas dans le voisinage des lourdes dorures Louis XIV rougies par le grand air, et de ce rapprochement d’objets de styles si disparates naît un tout parfaitement harmonieux. Explique qui pourra ce singulier phénomène. Quant à moi, je l’attribuerai volontiers à l’atmosphère lumineuse de ces pays ensoleillés qui enveloppe d’un jour harmonieux les ors répandus à profusion sur les parois.