Page:Dieulafoy - La Perse, la Chaldée et la Susiane.djvu/271

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des cérémonies de Charles X. Après l’enterrement de son frère Louis XVIII, le roi se plaignit amèrement du désordre du cortège funèbre. « Sire, nous ferons mieux la prochaine fois », répondit en tremblant l’officier incriminé.

3 septembre. — Souvent déjà, tout en longeant le Tchaar-Bag, je suis passée devant la façade de la médressè de la Mère du Roi, et toujours j’ai été tentée de visiter cet édifice, merveilleux à en juger d’après les proportions monumentales de sa porte d’entrée et l’éclat des émaux à fond bleu turquoise de la coupole et des minarets cachés en partie derrière un rideau de verdure. Tout ce que j’avais rêvé n’est rien auprès de la réalité.

La baie ogivale qui constitue l’entrée de la médressè s’élève au centre d’une façade à deux étages longue de près de cent mètres. Une large torsade de faïence bleu turquoise, reposant à ses extrémités sur des bases d’albâtre, dessine tout autour de l’ouverture une brillante archivolte. La porte en bois de cyprès est couverte de plaques d’argent ciselées avec art.

Je franchis le seuil et pénètre dans un large vestibule octogone recouvert d’une coupole ; à droite et à gauche sont placés des gradins de bois, sur lesquels des marchands de comestibles étalent des pêches magnifiques, des raisins dont les ancêtres sont nés au pays de Chanaan, du lait aigre, des concombres, des kébabs prêts à rôtir, en un mot les approvisionnements d’un restaurant bien achalandé.

Ce vestibule, où viennent se pourvoir aux heures des repas maîtres et élèves, est percé de larges baies : l’une communique avec la porte extérieure ; celles de droite et de gauche s’ouvrent sur deux vestibules secondaires ; la quatrième donne accès dans la cour de la médressè, ombragée de platanes vigoureux. Il n’est point étonnant que ces arbres soient, malgré le développement de leurs branches inférieures, plus fournis à la cime que les platanes du Tchaar-Bag, car la médressè de la Mère du Roi a été bâtie en 1710 sous le règne de chah sultan Houssein, près de cent ans après la plantation de la fameuse promenade de chah Abbas.

Les yeux, éblouis par les reflets des briques émaillées qui scintillent aux rayons du soleil, ne distinguent à première vue que les grandes masses du tableau. Au premier plan, les arbres du jardin se réfléchissent sur les eaux cristallines de longs bassins d’albâtre et forment de leurs rameaux épais un cadre sombre au milieu duquel se détachent comme noyés dans une buée lumineuse le dôme et les minarets revêtus d’une mosaïque de briques émaillées. Le fond bleu turquoise de la coupole sert de fond à de gracieuses volutes blanches et à des arabesques jaune clair, serties, suivant le cas, d’un mince filet gros bleu ou noir. Le revêtement de toutes les parties inférieures du monument est formé de carreaux de faïence d’un blanc laiteux recouverts d’entrelacs bleu foncé, donnant aux parties les plus résistantes de la construction un aspect de solidité en harmonie avec leur rôle dans l’ensemble du monument.

Les artistes qui ont produit une œuvre aussi admirable ont droit à tout notre respect ; on ne saurait élever à un plus haut degré la décoration architecturale et profiter plus judicieusement des ressources que la nature a réparties à l’Orient. Quant à moi, je ne connais pas en Europe de monument susceptible de produire une impression analogue à celle que l’on éprouve en présence de la médressè de la Mère du Roi.

Les élèves ne sont pas nombreux en cette saison. N’étaient les marchands installés sous le vestibule et quelques prêtres occupés à fumer le kalyan avec une gravité toute sacerdotale, on pourrait croire la médressè presque aussi déserte que le caravansérail de la Mère du Roi et le bazar contigus. Tous ne serons guère gênés aujourd’hui pour faire tout à notre aise nos relevés et nos photographies.

Pendant que nous opérons, le P. Pascal va rendre visite aux professeurs de l’école ; entre gens instruits la théologie étant un perpétuel sujet d’entretien, il ne tarde pas à trouver au nombre des mollahs quelques adversaires tout prêts à soutenir une controverse religieuse.