Page:Dieulafoy - La Perse, la Chaldée et la Susiane.djvu/281

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ces pays, et donne les mieux rétribuées aux prêtres capables de lui offrir en échange de leur nomination un cautionnement destiné à garantir la redevance qu’ils s’engagent à lui payer annuellement. Réunir à l’avance les fonds nécessaires à l’obtention d’une cure à gros bénéfices est la grande préoccupation des membres du clergé subalterne : il n’y a pas de trafic ou de commerce clandestin auxquels les prêtres ne se livrent en vue de satisfaire les exigences pécuniaires de leur chef hiérarchique. Les abus les plus criants résultent de ces détestables agissements, mais on ne saurait juger avec trop d’indulgence le pasteur quand on connaît le troupeau. Si les prélats ne prenaient la précaution d’exiger un cautionnement avant de nommer les curés, les membres du bas clergé, sortis généralement des classes les plus intimes de la société, privés d’une instruction assez solide pour suppléer à l’éducation première, dépourvus d’idées très nettes sur la valeur d’une parole donnée et ne voyant guère dans le sacerdoce qu’un état lucratif, s’empresseraient, une fois nommés, de manquer à leurs promesses.

Ces conventions sont entachées de simonie ; néanmoins les grégoriens ne paraissent pas les considérer comme illicites et les concluent du haut en bas de la hiérarchie ecclésiastique. Le patriarche d’Echmyazin, chef reconnu de l’Église schismatique, exige tout le premier, des évêques consacrés par lui, des cadeaux proportionnels à la dotation de leurs sièges épiscopaux, et ne saurait trouver mauvais que ceux-ci, à leur tour, aient recours à des procédés analogues envers les simples prêtres ; d’autant plus que les prélats, se trouvant dans l’impossibilité de se livrer aux entreprises commerciales qui enrichissent les fidèles, sont obligés de pressurer le bas clergé afin de réunir les fonds promis à Echmyazin, de subvenir aux frais du culte, et de pourvoir à leur entretien personnel, à celui des bâtiments de l’évêché, des écoles et des établissements de bienfaisance.

Le marchandage des offices religieux n’empêche pas d’ailleurs les prêtres de témoigner le plus profond respect à leur pasteur ; et ils songent même si peu à murmurer contre des demandes d’argent publiquement avouées, que le curé de la cathédrale de Djoulfa, désireux d’être promu à une cure des Indes, est venu prier le P. Pascal de lui servir de caution auprès de l’évêque. L’idée était au moins originale. Le Père a refusé d’intervenir dans une affaire où son immixtion aurait pu être considérée comme un empiétement indiscret dans les affaires des grégoriens. Il doit se montrer d’autant plus prudent que, jusqu’à ces dernières années, l’Église romaine et l’Église schismatique de Djoulfa ont été des rivales acharnées.

Peu d’années avant la venue à Djoulfa du P. Pascal et de l’évêque, la majorité grégorienne persécuta de la manière la plus cruelle la minorité romaine ; les prêtres catholiques, menacés dans leur existence, furent même obligés de se réfugier chez des musulmans. Le souvenir de ces excès n’était pas encore effacé à l’arrivée des deux nouveaux chefs, et leurs relations se ressentirent tout d’abord de l’état d’hostilité de leurs ouailles ; aujourd’hui elles sont devenues des plus amicales, grâce aux sentiments généreux du P. Pascal.

Il y a six ans, l’évêque, montrant, au dire des fidèles, trop de modération envers les catholiques, fut gravement attaqué : on lui reprocha avec amertume ses tendances à se rapprocher des romains au détriment des grégoriens.

Les mauvais sentiments de la population de Djoulfa éclatèrent avec une telle violence, que le prélat, désolé, se résigna à abandonner son siège de Perse et à aller vivre aux Indes au milieu de fidèles respectueux et soumis. Il quitta son palais, franchit à peu près seul les murs de la cité, dure humiliation quand on a la coutume de vivre entouré de nombreux amis, et s’engageait en pleurant sur la route de Chiraz, quand il fut rejoint par le Père Pascal. Le moine, ému de pitié, avait sellé son cheval et était venu consoler le voyageur. Celui-ci fut profondément touché de cet acte de charité. Les deux prêtres cheminèrent