Page:Dieulafoy - La Perse, la Chaldée et la Susiane.djvu/282

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ensemble une journée, et en se séparant, l’un pour s’éloigner de son ingrate ville épiscopale, l’autre pour revenir au milieu de ses quelques catholiques fidèles, ils se promirent de resserrer les liens de leur amitié si des circonstances favorables les réunissaient un jour à Djoulfa.

Le repentir des schismatiques ne se fit pas longtemps attendre. Les nombreuses charités de l’évêque manquèrent aux pauvres dès le premier hiver ; la population aisée, livrée sans défense aux fantaisies autoritaires du pouvoir civil, ne tarda pas à comprendre de son côté que non seulement elle avait commis une injustice, mais s’était privée d’un chef éminent, capable de grouper autour de lui la colonie et de la défendre contre les vexations des musulmans. Au bout d’une année les Djoulfaiens se décidèrent à envoyer à l’évêque des Indes des émissaires chargés de lui porter leurs excuses et de le prier de revenir reprendre sa place au milieu d’eux. Le prélat se montra généreux et promit de revenir en Perse si les sentiments de la population ne variaient pas au cours d’une nouvelle année. Ce délai passé, il quitta courageusement sa nouvelle résidence, où il vivait entouré de respect et jouissait"de tous les avantages de la civilisation, et revint dans la sauvage Djoulfa qui avait si durement méconnu ses bonnes intentions ; son retour fut un véritable triomphe. Depuis cette époque pas un nuage ne s’est élevé entre la colonie schismatique et son pasteur, bien que l’évêque soit devenu l’ami intime du P. Pascal. Les deux moines s’ingénient à ne point blesser les susceptibilités de leurs fidèles respectifs, et grâce à leur bonne entente une harmonie remarquable règne entre les sectateurs de religions naguère encore si acharnées l’une contre l’autre.


Sacristain Arménien


A onze heures le P. Pascal se lève, transmet nos remerciements à l’évêque et le prie de venir à son tour dîner au couvent, où il veut réunir en notre honneur les Européens et les catholiques les plus fervents de Djoulfa. L’invitation est acceptée avec bonté, et l’on donne l’ordre d’allumer les fanous destinés à éclairer la route.

Guidés par le sacristain, huit ou dix domestiques s’emparent de ces immenses lanternes et forment, en s’avançant sous les tonnelles de verdure et les branches des cognassiers chargés de fruits dorés, un cortège des plus pittoresques. Sur un signe de l’évêque, nous nous plaçons auprès de lui, comme étant les gens les plus respectables de la bande, tandis que les autres invités traînent leurs babouches au-devant de nous et soulèvent un nuage de poussière que nous sommes obligés de dévorer consciencieusement, afin de garder le rang auquel nous avons droit.

De retour au couvent, j’adresse au P. Pascal d’amers reproches au sujet de la prodigalité dont il veut se rendre coupable en essayant de lutter d’amabilité avec l’évêque, lui qui n’a pas à sa disposition les revenus des cures des Indes.

« Ne vous mettez point en peine, me répond-il. D’abord nous tuerons la gazelle : elle