Page:Dieulafoy - La Perse, la Chaldée et la Susiane.djvu/296

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Ce phénomène ne se produirait pas si, an lieu d’osciller autour de leur axe, les tours étaient soumises à un mouvement de translation verticale.

Dans ce dernier cas il n’y aurait pas seulement des tissures en M et en N, mais des lézardes horizontales, divisant en deux tronçons le fût cylindrique des minarets. Or il est facile de vérifier que leur maçonnerie n’est interrompue en aucun point.

Nous nous remettons en selle et, sous la conduite du P. Pascal, nous arrivons en moins d’un quart d’heure au palais de Coladoun, bâti au milieu de la plaine d’ispahan, dans une situation ravissante.

Des arbres touffus, des eaux vives, un beau tapis de verdure, n’est-ce pas la réalisation des rêves d’un Oriental ? C’est ce que pensait sans doute, en édifiant sa demeure, le dernier propriétaire du palais, obligé de quitter le pays, il y a deux ans à peine, pour se rendre en pèlerinage à la Mecque, sur un ordre du prince Zellè sultan.

Le roi et son fils imposent à leurs sujets l’accomplissement de ce pieux devoir toutes les fois qu’ils veulent se débarrasser d’un personnage gênant par son influence, ou d’un fonctionnaire dont la fortune est hors de proportion avec les bénéfices licites ou illicites que tolèrent les habitudes très larges du pays.

Il est de tradition que les pèlerins partis sur l’ordre du souverain ne reviennent guère des lieux saints : les fatigues d’un long voyage expliquent le trépas inopiné de ces dévots malgré eux.

Le propriétaire de Coladoun n’a pas eu un sort exceptionnel : six mois après son départ, la nouvelle de son décès est arrivée à Ispahan. Allah ait pitié de son âme ! il est mort sur le chemin du salut. Mais que sont devenus ses héritiers naturels, ses femmes et ses enfants ?

Il ne serait pas délicat d’interroger à ce sujet Mirza Taghuy khan : en fidèle serviteur le docteur doit approuver toutes les actions de son maître. Quoi qu’il en soit, la belle propriété du hadji appartient aujourd’hui au prince Zellè sultan.

Des fenêtres du talar la vue s’étend au loin sur une campagne fertile limitée à l’horizon par la chaîne de montagnes des Bakhtiaris. À nos pieds coulent, à travers des plantations de tabac et de sorgho, des ruisseaux peuplés de tortues de grande taille.

Un profond réservoir placé au centre du jardin fournit l’eau nécessaire à l’arrosage des parterres et des vergers qui entourent Coladoun, tandis que les plantations de tabac et de coton sont irriguées avec des eaux sous-jacentes, au moyen d’engins analogues au chalouf dont se servent les Égyptiens quand ils amènent l’eau du Nil au-dessus des berges du fleuve. Seulement, les Persans intelligents et pratiques attellent des animaux à leurs machines élévatoires au lieu de les manœuvrer à bras d’hommes.

Si les puits, percés au-dessus des kanots et généralement cachés sous les branches touffues des arbres, n’attirent pas le regard, le grincement des poulies décèle bruyamment leur présence.

Deux murailles de terre élevées de chaque côté de l’orifice supportent une barre de fer sur laquelle s’enfile un large cylindre de bois ; la corde qui s’enroule tout autour de cette espèce de treuil soutient à l’une de ses extrémités une large poche de cuir, et par l’autre s’attache au collier d’un bœuf ou d’un cheval. Au-devant des puits, un chemin en pente très rapide, creusé entre deux murs de soutènement, sert de passage aux animaux attelés à la machine élévatoire. Quand le cheval ou le bœuf remonte la pente en se dirigeant vers l’orifice du puits, la poche de cuir descend dans l’eau et se remplit. Le conducteur fait alors retourner la bête, dont l’effort, ajouté à son propre poids, suffit à élever le récipient ; un homme saisit la poche de cuir, l’attire à lui et déverse son contenu dans les rigoles d’irrigation.