Page:Dieulafoy - La Perse, la Chaldée et la Susiane.djvu/297

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Les bœufs et les chevaux, habitués à descendre et à monter tous les jours ces chemins en pente, obéissent machinalement à leur conducteur et amènent en peu de temps une grande quantité d’eau à la surface du sol.

À Coladoun la couche liquide est très rapprochée de terre ; les paysans en profitent pour faire produire à leurs champs jusqu’à trois récoltes chaque année.

Les cultures du coton et du tabac forment avec celle du pavot la grande richesse agricole de la plaine du Zendèroud.

À part une irrigation soignée, à défaut de laquelle la graine ne germerait même pas, le tabac, dont la tige s’élève à quatre-vingts centimètres de hauteur, vient à peu près sans travail et sans soin. Quand la plante a produit toutes ses feuilles, on les laisse sécher sur pied avant de les cueillir, puis on les divise en dix ou douze classes, s’étageant depuis la feuille fine et tendre d’un prix élevé jusqu’au bois concassé mis à la portée des petites bourses.

Le tabac d’Ispahan est renommé et l’emporte comme parfum sur celui de Chiraz, particulièrement réservé aux Constantinopolitains ou aux Syriens, qui le fument comme les Persans dans des kalyans ou des narguilés.

La culture du coton demande moins de chaleur que celle du tabac, et couvre par conséquent une grande étendue de terre dans les provinces du nord comme dans celles du centre de la Perse.

Au moment de la floraison, l’arbrisseau se couvre de fleurs jaunes, puis les pétales tombent et sont remplacés par une capsule rouge de la grosseur d’une petite noix. Cette enveloppe se décolore et se sèche tout à la fois ; devenue boisée, elle éclate et laisse apparaître le coton blanc comme de la neige. Le vent ne tarderait pas à emporter ce fin duvet si, au moment opportun, une nuée de paysans ne cueillaient rapidement les capsules.

Après avoir emmagasiné le coton, il reste à le débarrasser des matières étrangères, à l’emballer ensuite dans de vastes sacs de toile, puis à l’expédier vers les ports d’embarquement, à destination de la France ou de l’Angleterre.

La culture de cette plante textile serai t aussi rémunératrice que celle de l’opium ou du tabac, si cette matière était mise en œuvre sur les lieux mêmes de production. Malheureusement les négociants indigènes ne profitent même pas, en qualité d’intermédiaires, des bénéfices laissés par les diverses transactions auxquelles le coton donne lieu, et se trouvent, envers deux maisons européennes établies sur la voie de Téhéran à Bouchyr, dans un état de dépendance très nuisible au développement de l’industrie locale. I n exemple entre mille. Les marchandises importées ou exportées de Perse doivent être soumises à un seul droit de douane évalué à cinq pour cent de la valeur vénale : telle est la fiction. En réalité, les convois sont arrêtés et visités non seulement à l’entrée et à la sortie du royaume, mais encore aux portes de chaque ville. Il faut alors donner, pour dégager les marchandises, des pichkiach aux gouverneurs, aux officiers de douane et aux nombreux serviteurs du palais, toujours plus après et plus difficiles à tromper que leurs maîtres, et dépenser en gratifications trois et quatre fois le montant de la taxe réglementaire, suivant le bon plaisir et les exigences des autorités répandues le long de la route que suivent les caravanes.

Tout autre est la situation des Européens. Protégés par leurs consuls, ils payent à la douane la redevance légale et, cet unique impôt acquitté, n’ont à surmonter aucun obstacle pour faire conduire les convois jusqu’à leurs caravansérails.

Dans cette situation privilégiée, il leur est possible, tout en prélevant un bénéfice considérable, de donner leurs marchandises à un prix très inférieur à celui que demandent les négociants indigènes.

Cet état de choses est fort regrettable, car, s’il est à désirer de voir l’influence européenne