Page:Dieulafoy - La Perse, la Chaldée et la Susiane.djvu/308

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cortège d’Aida, des tambours en forme d’obus cylindro-coniques, constituent les éléments bruyants de l’orchestre pittoresque qui s’installe soir et matin sur l’une des terrasses placées au-devant du Négarè Khanè ou du palais Ali Kapou, le plus élevé de tous les monuments d’Ispahan.

Sous ce même talar, dont le plafond peint et doré est soutenu par douze colonnes de cèdre, se groupait aussi, à l’époque de la splendeur d’Ispahan, la cour des rois sofis lorsque le monarque rendait la justice a son peuple ou venait assister aux fêtes toujours données au Meïdan depuis la construction de la masdjed Chah. Vue de ce point, la mosquée se développait aux yeux du roi dans toute sa splendeur, l’angle sous lequel il l’apercevait atténuant jusqu’à un certain point la position irrégulière de l’édifice, dont la porte extérieure se trouve seule dans l’axe de l’esplanade, tandis que l’axe de la nef proprement dite est déjeté sur la droite et orienté dans la direction de la Mecque. Cette position biaise du sanctuaire par rapport au Meïdan prouve qu’il existait avant le règne de chah Abbas, au cœur du quartier commerçant, un vaste emplacement libre de constructions, dans lequel le roi dut se contenter de tracer une place rectangulaire sans toucher à des bazars trop importants pour être déplacés. Quant à l’édifice religieux, il fut bâti sur une melonnière appartenant à une vieille femme. La rivale du meunier de Sans-Souci se refusa obstinément à vendre son jardin au souverain, jusqu’au jour où les prêtres lui firent un cas de conscience de sa résistance.

Cette difficulté vaincue, chah Abbas voulut mettre la main à l’œuvre ; et, comme les marbres tardaient à arriver, il ordonna de démolir la masdjed djouma, de s’emparer de ses matériaux et de commencer sans délai la construction du nouveau temple. Les prêtres, prévenus de cette décision, eurent le courage de venir se jeter aux genoux du roi, et le supplièrent de respecter un sanctuaire aussi remarquable par son architecture que par son antique origine.

La nouvelle de l’arrivée prochaine des marbres attendus, plus encore que l’éloquence des mollahs, sauva la vieille mosquée d’une destruction certaine.

La première pierre de la masdjed Chah fut posée en 1580. A dater de ce jour, les travaux marchèrent avec une ifévreuse activité.

La grande porte élevée en façade sur le Meïdan est encadrée d’une triple torsade d’émail bleu turquoise dont les extrémités reposent sur des culs-de-lampe d’albâtre en forme de vases.

Le porche, placé en arrière de la baie, couvert d’une voussure composée de petits alvéoles accolés les uns au-dessus des autres, est entièrement tapissé, comme les murailles, les tympans et les minarets, de plaques émaillées sur lesquelles sont peints en vives couleurs des entrelacs d’arabesques et de fleurs entourées d’inscriptions pieuses.

Si les revêtements en carreaux de faïence employés dans les constructions des rois sofis sont peu coûteux et d’une exécution facile, en revanche ils sont bien moins durables que les parements exécutés sous les Seljoucides, et bien moins artistiques que les mosaïques mogoles, composées d’émaux découpés et reliés en grands panneaux.

On doit attribuer en partie l’harmonieuse coloration et l’éclat des véritables mosaïques de faïence au procédé de fabrication et au triage des matériaux. Tous les fragments de même couleur, étant pris dans une plaque de teinte uniforme, pouvaient être cuits séparément et amenés à la températurel a mieux appropriée à chaque émail, tandis que les carreaux peints en couleurs différentes, vitrifiables à des températures inégales, ont souffert, dans l’ensemble de leur tonalité, de la chaleur moyenne du four, trop élevée pour les plus fusibles et trop basse pour les autres.

Quant à l’insolidité des revêtements en carreaux de faïence, je n’en veux pour preuve que