Page:Dieulafoy - La Perse, la Chaldée et la Susiane.djvu/336

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paraissent trop lourdes, et les murailles des galeries disposées autour des cours sont trop basses. Le charme de la résidence royale était dû à l’abondance des eaux, à la fraîcheur des bosquets, à la beauté du paysage et surtout au luxe effréné d’une cour d’adulateurs, de courtisans et d’eunuques.

«  Où allez-vous ? me demande le Père au moment où je me remets en selle. J’ai chanté de grand matin l’office et la messe, rien ne me rappelle au couvent avant trois heures.

— Il existe, m’avez-vous dit, dans le voisinage de Farah-Abad, au milieu d’une anfractuosité du Kou Sofi, un second palais digne d’être visité ?

— Le takhtè Soleïman ? Nous avons bien le temps de l’aller voir demain !

— Père, reprend alors Marcel, vous nous faites passer à Djoulfa une existence bien douce, néanmoins il faut songer à nous remettre en route ; depuis bientôt un mois nous sommes à Ispahan.

— Déjà ! Mais je ne consentirai pas de longtemps à vous laisser quitter Djoulfa. Vous emploierez quinze grands jours à visiter la rive droite du fleuve si vous mettez dans ces tournées la modération que je me suis promis de vous faire apporter désormais dans vos courses ; vous avez beaucoup travaillé depuis votre arrivée, reposez-vous avant de reprendre le cours de vos pérégrinations. Quatorze pénibles élapes séparent Ispahan de Chiraz. Croyezen mon expérience, des semaines et même des mois comptent pour peu dans un voyage long et difficile. Demeurez cet hiver à Djoulfa, nous nous efforcerons tous de vous rendre la vie agréable.

— Notre temps est limité, vous connaissez du reste notre projet de visiter la Susiane et la Babylonie ; si nous passions l’hiver ici, nous traverserions au cœur de l’été des contrées dont la température est redoutable. D’après les nouvelles apportées par les dernières caravanes, la fièvre annuelle de Chiraz est en décroissance ; il est temps, vous le voyez, de songer au départ. Nous n’abandonnerons pas le couvent sans regrets, soyez-en persuadé, et nous remercierons tous les jours le ciel de vous avoir mis sur notre chemin.

— Je me soumets aux décrets de la Providence, reprend le Père. J’avais soigneusement prié tous nos amis de ne point vous parler du départ, très prochain, d’une nombreuse caravane d’Arméniens, de crainte que vous n’eussiez l’idée de vous joindre à elle ; mais, puisque vous êtes décidés à continuer votre voyage, je prierai les tcharvadars chargés de la conduire de ne point activer leurs préparatifs : avant de vous remettre en route, vous pourrez ainsi terminer vos travaux en toute tranquillité d’esprit. Démontons à cheval et allons, suivant votre désir, visiter le takhlè Soleïman. »

Après avoir descendu au petit galop la longue avenue qui sert d’entrée au palais, nous gravissons les flancs abrupts de la montagne et, prenant un chemin tracé en lacet, nous atteignons bientôt une étroite plate-forme creusée de main d’homme dans une anfractuosité du rocher. Un palais ru iné la couronne.

L’histoire de cet édifice donne une idée fort exacte des procédés administratifs des rois de Perse.

Chah Soleïman étant à la chasse vint se reposer un jour à l’ombre d’un bouquel d’arbres arrosé par une source.

«  Quel admirable paysage ! dit-il à son grand vizir en contemplant la vaste plaine étendue à ses pieds ; j’aimerais à conduire ma mère en ce lieu et à lui faire admirer d’ici le panorama d’Ispahan ; de nulle part il ne se présente sous un aspect aussi enchanteur. »

Le vizir ne souffla mot, mais dès le lendemain il engagea quatre mille ouvriers et les fit conduire dans la montagne avec ordre de creuser le rocher et de déblayer un emplacement suffisant pour y bâtir un palais. En même temps il faisait tracer un chemin en lacet,