Page:Dieulafoy - La Perse, la Chaldée et la Susiane.djvu/335

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mations suffisantes, des plaques et des grands cordons à des rôtisseurs (tu roi ou à des gens occupant il la cour les positions les moins considérées, je pourrais même dire les moins honorables. On n’agirait pas avec plus de désinvolture s’il s’agissait d’octroyer la croix de Saint-Potin.

15 septembre. — S’il faut aller chercher les mosquées dans la ville musulmane et sur la rive gauche du Zendèroud, les palais d’été élevés par les successeurs de chah Abbas se trouvent, en revanche, sur la rive droite du fleuve. Les souverains persans désirèrent-ils, en établissant leurs résidences auprès de la ville chrétienne, lui témoigner leur confiance, ou plutôt voulurent-ils, dans un ordre d’idées tout différent, se rapprocher de la nouvelle colonie afin de la mieux surveiller et de la dépouiller sans peine ? Je n’en serais point surprise. La plus vaste et la plus importante de ces demeures royales, Farah-Abad (Séjour-de-la-Joie), fut construite au pied du Kou Sofi (Montagne des Sofi) par ce même chah Houssein qui persécuta durement les Arméniens et tarit ainsi les sources de la prospérité de Djoulfa.

On arrivait à Farah-Abad en suivant une avenue longue de plusieurs kilomètres, comprise entre deux galeries interrompues de distance en distance par des pavillons réservés aux gardes du roi. Cette voie grandiose aboutissait à une vaste esplanade autour de laquelle se développait l’habitation particulière du souverain. Des canaux revêtus de marbre blanc amenaient des eaux courantes dans un bassin de porphyre placé au centre de l’édifice, ou la distribuaient aux merveilleux jardins dont les voyageurs du dix-septième siècle nous ont laissé une si enthousiaste description.

Des esprits chagrins pourront reprocher à chah lloussein d’avoir construit un palais comparable en étendue aux légendaires demeures de Sémiramis, mais ils ne l’accuseront jamais d’avoir ruiné son peuple en acquisitions de pierres de taille et de bois de charpente. Tous les murs et toutes les voûtes sont bâtis en briques séchées au soleil ; les parements sont enduits de plâtre et ne conservent aucune trace de sculptures ou de peintures décoratives : les parquets, les planchers même n’ont jamais été un luxe de l’Orient, de tout temps le sol battu a été recouvert de nattes sur lesquelles on étendait des tapis ; enfin, s’il existe dans quelques embrasures des traces de ces verrières encore en usage dans les constructions actuelles, la majeure partie des baies, il est aisé de le constater, n’avaient pas de fermeture et devaient être abritées des rayons du soleil par de grandes tentes placées au devant des ouvertures. Plus encore que le temps, les envahisseurs ont eu raison du palais de chah lloussein. Lorsque les Afghans, vaincus par Nadir, général en chef des armées de chah Tamasp, quittèrent Ispahan après la bataille du lo novembre 1729, ils ordonnèrent d’incendier le palais des rois sofis et de démolir les vastes talars sous lesquels ils avaient eux-mêmes trôné pendant plusieurs années.

Chah Tamasp arriva trop tard pour s’opposer au sac de la demeure favorite de sa famille. En voyant autour de lui le spectacle d’une pareille dévastation, il ne put contenir ses larmes. Il pleurait son palais écroulé et réduit en poussière, son père et ses frères égorgés, l’enlèvement des princesses de sa maison, emmenées prisonnières par Acliraf, quand une femme misérablement vêtue se précipita vers lui et le serra dans ses bras. C’était sa mère. Cachée sous les humbles vêtements d’une esclave, elle avait mieux aimé remplir pendant quatorze ans les ofïices les plus intimes que de se faire connaître et de se soumettre au vainqueur. Aujourd’hui tous les aqueducs sont détruits, les marbres précieux ont disparu, les voûtes de terre se sont effondrées et couvrent de leurs débris poudreux remplacement des jardins, ou ne verdissent plus les parterres de fleurs et les platanes ombreux. Dans cet état de ruine il est difficile de porter un jugement sur le palais de Farah-Abad, un des plus vastes que j’aie jamais vus. Je croirais volontiers que son aspect ne devait être ni grandiose ni imposant ; les coupoles encore debout