des villages ; si vous ne me conduisez pas immédiatement dans une habitation quelconque, je reprends le chemin de Djoulfa, et, à votre tour, vous attendrez mon bon plaisir. »
Il nous serait bien impossible de mettre à exécution les menaces de mon mari : on voit à peine à deux pas devant soi, et nous avons contourné tant de fossés, que nous avons perdu jusqu’à l’idée de la direction d’Ispahan.
Cependant les Orientaux, très portés à attribuer aux Faranguis tous les talents, même celui de se conduire la nuit en pays inconnu, rechargent les mulets et nous engagent à les suivre. Nous marchons pendant un quart d’heure et atteignons un grand village tout voisin du campement, ainsi que nous l’avait fait présumer la position des kanots. Le tcharvadar frappe à la première porte, mais, comme nous sommes en plein biyaban (campagne), où les paysans, fort pusillanimes, rêvent voleurs nuit et jour, on ne répond même pas à son appel ; une seconde, une troisième tentative ont un égal insuccès ; enfin nous arrivons à la maison du ketkhoda.
« Ouvrez, au nom du chahzaddè ! ) s’écrie impérativement Marcel avec son plus détestable accent ispahanien.
Si le ciel nous favorise, nous ne passerons pas la nuit dehors ! Plafond doré ou toiture de terre, peu importe, pourvu que nous dénichions un abri. Un paysan d’assez honnête figure se présente dès que deux ou trois valets d’écurie ont entr’ouvert la porte, et prend, à l’aspect de nos casques blancs, une figure toute décontenancée. Le cuisinier, fort à propos, se porte garant de notre honnêteté.
« Ces Faranguis, dit-il, sont des gens calmes et tranquilles, vous pouvez sans inquiétude leur donner asile dans votre maison ; le bois et le logis vous seront généreusement payés.
— Je n’ai jamais refusé l’hospitalité gratuite à de fidèles croyants, mais je n’oserais introduire chez moi des infidèles sans l’assentiment de mes femmes ; attendez un instant, je vais les consulter.
» Et le ketkhoda, laissant à ses serviteurs le soin de garder la porte, disparaît. Bientôt un concert discordant parvient à nos oreilles. La proposition du maître de céans a soulevé une telle indignation dans l’andéroun, que cet heureux époux, presque honteux de son audace, revient, tout penaud, nous faire part de l’impossibilité où il se trouve de nous recevoir.
« Il y a, dit-il, à l’extrémité du village une ancienne mosquée où vont parfois camper les tcharvadars ; vous n’y seriez vraiment pas mal, et, si vous consentiez à vous y rendre, je vous ferais porter, sans en rien dire à mes femmes, du bois et du charbon. »
En route pour l’auberge du bon Dieu.
La mosquée occupe les quatre côtés d’une cour carrée ; à droite et à gauche du sanctuaire s’élevaient autrefois des galeries voûtées dont les débris gisent sur le sol ; en face de la porte d’entrée s’étend le corps principal, presque aussi ruiné que les ailes latérales ; mais, dans un angle, trois petites coupoles encore debout promettent un abri ventilé aux voyageurs malheureux. On décharge les vivres et les mafrechs ; le ketkhoda, fidèle à ses promesses, envoie une charge de fagots ; vers onze heures du soir, le feu est allumé, le kébab de mouton grésille sur les charbons ardents, la bouilloire chante et, bien qu’aveuglés par une épaisse fumée, nous nous laissons aller à l’impression d’un bien-être d’autant plus vif que depuis deux heures il était plus inattendu.
21 septembre. — « Comme on fait son lit, on se couche », dit un proverbe véridique. Après diner j’ai jeté de grandes brassées de bois au feu, puis, roulée dans mon lahaf, je me suis allongée sur le sol.
A mon réveil, le soleil est dans toute sa splendeur ; il est sept heures du matin, les mouches