Page:Dieulafoy - La Perse, la Chaldée et la Susiane.djvu/372

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d’un petit palais sofi et rentrons enfin au logis, très fatigués et plus désappointés que nous ne sommes las.

La maison mise à notre disposition est charmante. On reconnaît du premier coup d’œil que le bois est abondant dans le pays : les salles sont couvertes de chevronnages relevés de minces filets de couleur ; toutes les ouvertures sont fermées par des huisseries massives décorées de peintures à l’huile dont les sujets sont empruntés au célèbre Livre des Rois ; l’une d’elles reproduit les exploits cynégétiques de Baharam. La vie du roi chasseur est d’autant plus connue dans l’oasis, que c’est à Éclid, à en croire les paysans, que se déroula l’aventure extraordinaire retracée sur les panneaux des portes de notre chambre.

«  Baharam, le Nemrod de la Perse, tirait de l’arc avec une merveilleuse habileté et se plaisait à donner à ses sujets des preuves de son adresse. Un jour qu’il se trouvait à la chasse avec une de ses femmes, il aperçut une gazelle endormie. Il l’ajuste et décoche le trait avec tant de précision que la flèche effleure l’oreille de l’animal. Subitement réveillée, la bête essaye avec son pied de derrière de chasser la guêpe qui la tourmente. A ce même moment, une seconde flèche lancée par le roi fixe cette patte dans le cou de la gazelle. Le prince, plein de fierté, se retourne alors du côté de sa favorite, espérant recueillir sur ses lèvres la juste récompense de son adresse ; mais la belle, médiocrement enthousiasmée, se contente de jeter au chah ces paroles peu encourageantes : « L’habitude rend tout facile ».

«  J’ai vécu trop longtemps avec cette hargneuse « personne, s’écria le roi au comble de la colère. Con-

«  duisez-la dans la montagne et faites-la mourir. »

«  En homme prudent, le ministre d’État s’empressa de désobéir à son maître et permit à la belle dédaigneuse de se retirer au fond d’un petit village situé sur une déclivité de la vallée d’Eclid. Du prix de ses bijoux elle fit construire une maison adossée au

RENCONTREDE BAII AHAM ET DE SON ANCIENNE FAVORITE.

rocher et acheta une vache afin de se nourrir de son lait. Au bout de quelques mois la vache vêla, et tous les soirs la jeune femme, qui, faute de mieux, s’était attachée au petit veau, laissait la mère paître dans la montagne, prenait l’animal sur ses épaules et le portait chez elle.

«  Pendant quatre années elle continua cette gymnastique salutaire, et vit croître ses forces en raison du poids de la bête. « 

Baharam avait oublié depuis longtemps son ancienne favorite, quand, au cours d’une chasse à l’âne sauvage, il aperçut une femme portant un taureau sur ses épaules et gravissant malgré le poids de ce fardeau l’escalier d’une maison. Fort surpris, il envoya un de ses courtisans demander à la dame comment, sous une apparence aussi délicate, pouvait se cacher une si grande vigueur.

«  C’est mon secret, répondit-elle, je le confierai à votre maître. »

Le monarque, très intrigué, se rendit aussitôt à cette invitation, et, comme il prodiguait mille compliments à la jeune femme : « Ne louez pas ce qui ne mérite pas de l’être, lui dit-elle en levant son voile : « l’habitude rend tout facile. »