Page:Dieulafoy - La Perse, la Chaldée et la Susiane.djvu/381

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«  Prends ton fusil, nous allons être attaqués », me dit tout à coup mon mari.

Je me retourne vivement et j’aperçois, derrière une crète de rocher placé en contre-bas du chemin, de hautes coi filtres de feutre, puis des canons de fusil et enfin quatre hommes à la mine patibulaire.

Allons-nous servir de cible comme à Eclid ?

«  Au large ! s’écrie Marcel en saisissant ses armes et en dirigeant le canon de son fusil dans la direction des nouveaux venus, pendant que de mon côté j’exécute le même mouvement.

— Arrêtez ! Machallah ! (grand Dieu !) Vous risqueriez de tuer les toufangtchis (fusiliers) préposés à la garde du chemin. Ne seriez-vous pas ces gentilshommes faranguissi impatiemment attendus par le gouverneur de Chiraz ? ajoute l’orateur de la troupe. Nous vous surveillons depuis quelques instants, mais à votre mine pitoyable nous vous aurions pris plutôt pour de pauvres derviches que pour de grands personnages.

— Nous sommes en effet recommandés à votre maître.

— En ce cas, nous avons ordre de vous escorter.

— C’est inutile : en plein jour je ne m’égarerai pas.

— Notre consigne est formelle. Depuis quelques années, de nombreux crimes ont été commis dans ces montagnes, des caravanes ont été dévalisées et vous-mêmes auriez couru le risque d’être maltraités si, à la nouvelle de votre prochaine venue, le hakem n’avait fait garder les défilés. »

Là-dessus ces singuliers gendarmes s’assoient à quelque distance de nous et considèrent avec la plus grande attention les préparatifs de notre repas ; décidément cette escorte ne me dit rien qui vaille. Le repas terminé, j’engage Marcel à ne pas se commettre avec les soi-disant toufangtchis ; je suis d’autant moins rassurée que nos gardes, après nous avoir pressés de partir, nous prient de leur prêter nos armes et de leur permettre de les examiner. Voilà une demande bien grave : assurément nous avons affaire a de rusés bandits. Pour toute réponse nous serrons de plus près fusils et revolvers. L’un des soldats se lève alors, se rapproche de moi et me tend son bras :

«  Si vous ne voulez pas me laisser toucher à vos armes, guérissez-moi, au moins, d’un mal qui me tue. Je suis bien portant aujourd’hui, mais hier j’avais la fièvre, demain elle reviendra et me laissera plus faible qu’un chien.

— Ce mal est-il fréquent dans le pays ?

— Tout le monde y est plus ou moins sujet.

— Quels remèdes vous ordonnent les médecins indigènes ?

— Ils recommandent de couvrir le crâne des fiévreux d’une couche de feuilles de saule ; mais un Farangui de passage dans le pays a donné, il y a quelques années, à plusieurs d’entre nous une poudre blanche qui rend la vie. En auriez-vous ? Une caravane tout entière chargée de ce précieux médicament ne suffirait pas à guérir les malades de la province.

— Non, je n’en ai plus. »

Et la conversation s’interrompt de nouveau, car mes soupçons ne se sont pas encore dissipés et je suis plus occupée de suivre des yeux le moindre mouvement des toufangtchis que de répondre à leurs questions.

Allah soit loué ! Jamais le bruit d’une caravane en marche ne m’a paru si mélodieux. Les tcharvadars, tous réjouis d’avoir retrouvé leurs deux mulets occupés à paître sur les bords du Polvar, nous rejoignent en chantant et font mille protestations d’amilié à nos compagnons, de très braves gens de Chiraz, affirment-ils. « Vos amis les gendarmes ont la tournure de brigands fieffés, dis-je au tcharvadar bachy.

— La vue de leur uniforme ne vous a donc pas rassurée ?