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Page:Dieulafoy - La Perse, la Chaldée et la Susiane.djvu/84

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reconnaissent cette faveur en se montrant très indociles. Quand ils reculent, le laboureur serait impuissant à les diriger si un enfant, assis sur le milieu du collier, le dos tourné au chemin à parcourir, ne les guidait en les piquant avec un aiguillon, ou ne les excitait en leur jetant de droite et de gauche une grêle de petits cailloux rassemblés dans un coin de sa blouse. Dans la campagne les femmes aident leur mari et prennent part aux travaux agricoles. Par conséquent elles ne sont pas voilées, mais à l’approche d’un étranger elles s’éloignent au plus vite si elles sont jeunes ; les plus vieilles se contentent de tourner le dos en maugréant lorsque le sentier de caravane se rapproche des champs où elles travaillent.

La richesse, ou du moins l’aisance des villageois de Turkmenchaï se trahit par le soin apporté à la construction des maisons, dont les murs sont bien dressés et les portes ornées d’élégantes décorations de plâtre.

Turkmenchaï a joué un rôle important dans l’histoire de la diplomatie iranienne. En 1828 y fut signé le traité qui termina la guerre entre la Russie et la Perse. La première de ces puissances s’attribua la Géorgie, l’Arménie persane et la ville d’Érivan, place frontière importante, dont le siège avait illustré le général Paskéwitch, surnommé depuis l’Erivansky.

Des clauses secondaires relatives aux réceptions des ambassadeurs ou aux questions de préséance, difficiles à régler dans un pays où le peuple est si chatouilleux sur l’étiquette, trouvèrent place dans ce traité. Désormais les plénipotentiaires furent autorisés à se présenter devant le souverain sans avoir revêtu au préalable les grands bas de drap rouge montant jusqu’à mi-cuisse, que chaussèrent encore au commencement du siècle les ambassadeurs extraordinaires envoyés à Fattaly chah par la France et l’Angleterre, Cette singulière prétention de régenter le costume des ministres des puissances étrangères n’était pas seulement dans les traditions persanes : on peut voir encore à Constantinople, au musée des Janissaires, où sont réunis en grande quantité des mannequins revêtus des anciens costumes du pays, l’étonnant Mamamouchi inscrit dans le catalogue sous le nom de premier drogman de l’ambassade de France, et le non moins grotesque interprète de la fière Albion. Les Turcs du Bourgeois Gentilhomme sont insipides à leurs côtés.

25 avril. — Hier, à quatre heures du soir, après avoir parcouru un pays désert, nous avons fait notre entrée solennelle à Mianeh, petite ville d’origine fort ancienne.

Mianeh est le pays originaire d’énormes punaises, dont la piqûre donne la fièvre pendant deux ou trois jours, et tue quelquefois des enfants en bas âge : les plaies consécutives à la morsure de ces insectes, très facilement envenimées par la fatigue de longues étapes, ont souvent amené des maladies très graves chez les étrangers descendus, sans se douter du péril, dans les caravansérails.

L’hospitalité des habitants ne nous a pas paru rassurante, aussi avons-nous préféré aller demander asile, pour cause de punaises, à la station du télégraphe anglais, placée sous la direction de deux jeunes gens arméniens.

À peine les bagages sont-ils déballés, qu’on nous annonce la visite du ketkhoda (image de Dieu), fonctionnaire à tout faire, chargé de rendre la justice, de percevoir les impôts et d’envoyer aux gouverneurs de province le contingent annuel de l’armée royale. Il entre dans la cour, entouré, selon l’habitude, d’un nombreux personnel de serviteurs porteurs de kalyans tout allumés.

Nous l’invitons à s’asseoir sur un tapis étendu à son intention, et toute l’assistance s’accroupit à ses côtés, chacun d’après le rang qu’il occupe dans la hiérarchie sociale.

« Le salut soit sur vous ! La santé de Votre Honneur est-elle bonne ? dit le ketkhoda en posant la main sur son cœur.