Page:Dieulafoy - La Perse, la Chaldée et la Susiane.djvu/98

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changer à volonté le temps et la durée des jeûnes, permettre le commerce et même les relations d’amitié avec les infidèles, et renverser l’impureté légale, cette éternelle barrière jetée entre l’Islam et l’univers non musulman. Le réformateur, ne jugeant pas que les ablutions soient particulièrement agréables à Dieu, n’en fait pas une obligation religieuse. Il interdit la mendicité et la flétrit, bien qu’à l’exemple de Mahomet il ordonne de répandre autour de soi de nombreuses aumônes ; enfin il défend aux chefs civils d’exiger les impôts par la force, de donner la mort, d’infliger la torture ou la bastonnade.

En opposition avec ces idées grandes et généreuses, les ouvrages babys contiennent des prescriptions futiles et un singulier mélange de superstitions ridicules et d’idées incohérentes. Le Bab, par exemple, ordonne de croire à la vertu des talismans, de porter des amulettes dont les formes, minutieusement décrites, sont appropriées au sexe du fidèle, de se munir de cachets de cornaline, d’orner les temples, d’avoir des oratoires privés dans les maisons particulières, de célébrer pompeusement les offices par des chants et de la musique, de faire asseoir les prêtres sur des trônes ; il conseille à ses disciples de se parer de beaux habits, de raser leur barbe, mais leur défend de fumer le kalyan, de quitter leur pays, de voyager, et enfin, question bien autrement grave, de s’adonner à l’étude des sciences humaines qui n’ont point trait aux affaires de la foi, ou à la lecture de tout livre qui ne concerne pas la religion.

En résumé, quoique les origines du babysme aient été sanglantes, Mirza Ali Mohammed ne surexcita jamais l’humeur batailleuse des réformés. Son caractère paraît d’ailleurs avoir toujours été doux et paisible : s’il accepta la responsabilité des actes et des violences de ses partisans et en subit toutes les conséquences, il ne prit jamais une part active et directe dans la lutte contre le pouvoir royal et consacra sa très courte existence à l’exposition de la foi.

30 avril. — Nous sommes descendus à la maison de poste. Le gardien du tchaparkhanè, m’ayant proposé de sortir de la ville, me guide vers de superbes jardins situés sur les rives d’un cours d’eau légèrement encaissé. Des arbres fruitiers en plein vent mélangent leurs fleurs de couleurs différentes et forment des tonnelles sous lesquelles le jour peut à peine pénétrer. Aucun obstacle ne vient entraver le développement naturel des branches, que n’ont jamais torturées des piquets ou des fils de fer. « C’est le paradis terrestre sans la pomme », me dit, en me montrant ses vergers, Mohammed Aga khan, un des Babys les plus puissants de Zendjan.

Au retour, cet excellent homme m’engage à entrer dans sa maison et à venir saluer sa femme. J’accepte avec plaisir, heureuse de pénétrer dans une famille de réformés. Tout d’abord je suis surprise de l’ordre qui paraît régner dans cette demeure ; je n’aperçois pas ces innombrables servantes accroupies, inactives, leur kalyan à la main.

L’unique femme et la fille du khan viennent me souhaiter la bienvenue ; aidées de leurs servantes, elles sont occupées il préparer le repas du soir.

La mère abandonne ce soin à sa fille et m’introduit dans une chambre élevée de quelques marches au-dessus du sol, où elle m’invite à m’asseoir sur 1111superbe tapis kurde ras et fin comme du velours. On apporte le thé, le café ; mais, tout en appréciant la perfection avec laquelle les femmes persanes préparent ces deux boissons, je Ire perds pas de vue la jolie fille chargée de présider il la confection du pilau de famille. Des traits largement modelés, des yeux noirs agrandis par une teinte bistre qui entoure les paupières et accentue les sourcils donnent à la physionomie une animation toute particulière. La tète est enveloppée d’un léger voile de laine rouge dont la couleur intense fait ressortir les tons bronzés de la peau du visage. Deux grosses mèches brunes se jouent sur les tempes, tandis que la masse des cheveux est