Page:Diogène Laërce - Vies, édition Lefèvre,1840.djvu/505

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qui bannit celle foule de divinités à qui le simple peuple rend des hommages ; c’est plutôt cet autre qui veut donner à ces êtres divins les sentiments ridicules du vulgaire.

[124] « Tout ce que la plupart de ces faibles esprits avancent sur la connaissance qu’ils en ont, n’est point par aucune notion intérieure qui puisse servir de preuve invincible, c’est seulement par de simples préjugés. Quelle apparence que les dieux, selon l’opinion commune, s’embarrassent de punir les coupables et de récompenser les bons, qui, pratiquant sans cesse toutes les vertus qui sont le propre d’un excellent naturel, veulent que ces divinités leur ressemblent, et estiment que tout ce qui n’est pas conforme à leurs habitudes mortelles est fort éloigné de la nature divine.

« Faites-vous une habitude de penser que la mort n’est rien à notre égard, puisque la douleur ou le plaisir dépend du sentiment, et qu’elle n’est rien que la privation de ce même sentiment.

« C’est une belle découverte que celle qui peut convaincre l’esprit, que la mort ne nous concerne en aucune manière ; c’est un heureux moyen de passer avec tranquillité cette vie mortelle sans nous fatiguer de l’incertitude des temps qui la doivent suivre, et sans nous repaître de l’espérance de l’immortalité.

[125] « En effet, ce n’est point un malheur de vivre, à celui qui est une fois persuadé que le moment de sa dissolution n’est accompagné d’aucun mal ; et c’est être ridicule de marquer la crainte que l’on a de la mort, non pas que sa vue, dans l’instant qu’elle nous frappe, donne aucune inquiétude, mais parce que, dans l’attente de ses coups, l’esprit se laisse accabler par les tristes vapeurs du chagrin ? Est-il possible que la présence d’une chose étant incapable d’exciter aucun trouble en nous, nous puissions nous affliger avec tant d’excès par la seule pensée de son approche ?

« La mort, encore un coup, qui paraît la plus redoutable de tous les maux, n’est qu’une chimère, parce qu’elle n’est rien tant que la vie subsiste ; et lorsqu’elle arrive, la vie n’est plus : ainsi elle n’a point d’empire ni sur les vivants ni sur les morts ; les uns ne sentent pas encore sa fureur, et les autres, qui n’existent plus, sont à l’abri de ses atteintes.

« Les âmes vulgaires évitent quelquefois la mort, parce qu’elles l’envisagent comme le plus grand de tous les maux ; [126] elles tremblent aussi très souvent par le chagrin qu’elles ont de perdre tous les plaisirs qu’elle leur arrache, et de l’éternelle inaction où elle les jette ; c’est sans raison que la pensée de ne plus vivre leur donne de