Page:Diogène Laërce - Vies, édition Lefèvre,1840.djvu/506

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l’horreur, puisque la perte de la vie ôte le discernement que l’on pourrait avoir, que la cessation d’être enfermât en soi quelque chose de mauvais ; et de même qu’on ne choisit pas l’aliment par sa quantité, mais par sa délicatesse, ainsi le nombre des années ne fait pas la félicité de notre vie ; c’est la manière dont on la passe qui contribue à son agrément.

« Qu’il est ridicule d’exhorter un jeune homme à bien vivre, et de faire comprendre à celui que la vieillesse approche du tombeau, qu’il doit mourir avec fermeté ; ce n’est pas que ces deux choses ne soient infiniment estimables d’elles-mêmes, mais c’est que les spéculations qui nous font trouver des charmes dans une vie réglée nous mènent avec intrépidité jusqu’à l’heure de la mort.

« C’est une folie beaucoup plus grande d’appeler le non-être un bien, ou de dire que, dès l’instant qu’on a vu la lumière, il faut s’arracher à la vie.

[127] « Si celui qui s’exprime de cette sorte est véritablement persuadé de ce qu’il dit, d’où vient que dans le même moment il ne quitte pas la vie ? S’il a réfléchi sérieusement sur les malheurs dont elle est remplie, il est le maître d’en sortir pour n’être plus exposé à ses disgrâces ; et si c’est par manière de parler, et comme par raillerie, c’est faire le personnage d’un insensé. La plaisanterie sur cette matière est ridicule.

« Il faut se remplir l’esprit de la pensée de l’avenir, avec cette circonstance, qu’il ne nous concerne point tout à fait, et qu’il n’est pas entièrement hors d’état de nous concerner, afin que nous ne soyons point inquiétés de la certitude ou de l’incertitude de son arrivée.

« Considérez aussi que des choses différentes sont l’objet de nos souhaits et de nos désirs ; les unes sont naturelles, et les autres sont superflues ; il y en a de naturelles absolument nécessaires, et d’autres dont on peut se passer, quoique inspirées par la nature. Les nécessaires sont de deux sortes ; les unes font notre bonheur par l’indolence du corps, et quelques autres soutiennent la vie, comme le breuvage et l’aliment. [128] Si vous spéculez ces choses sans vous éloigner de la vérité, l’esprit et le corps y trouveront ce qu’il faut chercher et ce qu’il faut éviter ; l’un y aura le calme et la bonace, et l’autre une santé parfaite, qui sont le centre d’une vie bienheureuse.

« N’est-il pas vrai que le but de toutes nos actions, c’est de fuir la douleur et l’inquiétude, et que lorsque nous sommes arrivés à ce terme, l’esprit est tellement délivré de tout ce qui le pouvait tenir dans