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Page:Discours Noblanc 1939.djvu/11

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classes de la Société, peu cultivées en général, bien que très influentes, ou dont la culture est trop spécialisée, on affecte de douter de toutes les découvertes ; on fait profession d’exploiter les moindres difficultés rencontrées par la science dans son développement pour essayer de la discréditer aux yeux du public. Cet état d’esprit inspira en particulier à Brunetière en 1895 son célèbre article sur la prétendue « banqueroute » de la science. Quelques jours plus tard, Roentgen découvrait les rayons X…

La science est désintéressée ; plus elle est désintéressée, plus elle est féconde même dans ses applications pratiques ; ce n’est pas au cours de recherches entreprises en vue d’améliorer les transports que furent découverts les moteurs thermiques ; ce n’est pas pour trouver une méthode d’exploration de l’organisme humain que Roentgen a poursuivi des travaux qui ont abouti à la découverte des rayons X ; ce n’est pas non plus parce que certains industriels ont pensé qu’il serait avantageux de remplacer le téléphone par un autre dispositif permettant de transporter la parole à distance que la radiophonie a été découverte ; non, c’est simplement parce que Richardson a voulu savoir ce qui se passait exactement lorsque l’on chauffait un métal : en science on ne trouve pas toujours ce que l’on cherche, mais ce que l’on cherche est souvent moins important que ce que l’on trouve.

Que n’a-t-on reproché à la Science ? Elle est apte, dit-on, au mal autant qu’au bien. Soyons en garde contre cette confusion entre la pensée et l’action. Si nos contemporains utilisent les conclusions de la science dans l’invention de leurs engins de destruction et de mort, cela s’explique, dit Marcel Boil, par « l’immense retard des sciences de l’homme par rapport à celle de la matière ». Le grand philosophe Léon Brunschwig, ami de la science, déclare aussi fort justement à ce propos : « La science n’apparait aux individus et aux peuples une menace pour notre civilisation de paix et de justice que si individus et peuples se mettent eux-mêmes en dehors de la civilisation, imitant ces sauvages dont parle Montesquieu, qui, pour satisfaire leur faim, abattent l’arbre dont ils désiraient cueillir les fruits ».