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ces. Vous pouvez être certains que le paysan, qui est à l’affût, a parfaitement reconnu l’ennemi impitoyable et traditionnel, et qu’il sait non moins parfaitement qu’il n’a rien de bon à attendre de pareils restaurateurs et de pareils sauveurs de sociétés.

D’un autre côté, grâce à une équivoque et à une altération perfide des principes de la Révolution, Bonaparte lui apparaît comme le protecteur naturel de ses intérêts. C’est ainsi, je vous le disais tout à l’heure, qu’il attribue à Napoléon le Code civil, qui est le bouclier, l’arche sainte où il a trouvé la garantie de son domaine.

Il n’est pas loin de croire, sinon de dire, avec Mme de Staël, que Napoléon c’est « Robespierre à cheval ! » Eh bien ! il faut démonter ce cavalier. Il ne faut pas permettre à Napoléon, ni dans son passé, ni dans sa descendance, de bénéficier de cette admirable conquête du sol que nous devons à la Révolution. Il faut rompre cette tradition ; prouvons, au contraire, au paysan que c’est à la démocratie, à la République, que c’est à nos devanciers qu’il doit non-seulement la terre, mais le droit ; que par la Révolution seule, il est devenu propriétaire et citoyen. Son esprit ne s’élève pas encore au-dessus de la propriété matérielle, qui doit devenir le moyen de son progrès moral. La Révolution et la justice ne séparent pas ces deux progrès.

Il faut que cette propriété qu’il possède soit moralisatrice ; qu’à l’aide de cette indépendance acquise par le travail et la possession, il puisse arriver à une autre indépendance : l’indépendance de l’esprit. La société le lui doit ; et alors, quand il saura d’où lui vient son accroissement de bien-être et de dignité, il pourra être visité et fréquenté par les gens qui veulent créer de lourds impôts, fonder des majorats et rétablir des noblesses : il ne se laissera plus ni séduire ni tenter.

Présentons-nous donc à lui comme ayant subi sans amertume les coups qu’il nous a portés, l’aimant dans la bonne comme