Page:Discours sur les révolutions de la surface du globe, et sur les changemens qu'elles ont produits dans le règne animal.djvu/51

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Mais peut-être quelqu’un fera-t-il un argument inverse, et dira que non-seulement les anciens, comme nous venons de le prouver, ont connu autant de grands animaux que nous, mais qu’ils en ont décrit plusieurs que nous n’avons pas ; que nous nous hâtons trop de regarder ces animaux comme fabuleux ; que nous devons les chercher encore avant de croire avoir épuisé l’histoire de la création existante ; enfin que parmi ces animaux prétendus fabuleux se trouveront peut-être, lorsqu’on les connaîtra mieux, les originaux de nos ossemens d’espèces inconnues. Quelques uns penseront même que ces monstres divers, ornemens essentiels de l’histoire héroïque de presque tous les peuples, sont précisément ces espèces qu’il a fallu détruire, pour permettre à la civilisation de s’établir. Ainsi les Thésée et les Bellérophon auraient été plus heureux que tous nos peuples d’aujourd’hui, qui ont bien repoussé les animaux nuisibles, mais qui ne sont encore parvenus à en exterminer aucun.

Il est facile de répondre à cette objection en examinant les descriptions de ces êtres inconnus, et en remontant à leur origine.

Les plus nombreux ont une source purement mythologique, et leurs descriptions en portent l’empreinte irrécusable ; car on ne voit dans presque toutes que des parties d’animaux connus, réunies par une imagination sans frein, et contre toutes les lois de la nature.

Ceux qu’ont inventés ou arrangés les Grecs ont au mois de la grâce dans leur composition ; semblables à ces arabesques qui décorent quelques restes d’édifices antiques, et qu’a multipliés le pinceau fécond de Raphaël, les formes qui s’y marient, tout en répugnant à la raison, offrent à l’œil des contours agréables ; ce sont des produits légers d’heureux songes ; peut-être des emblèmes dans le goût oriental, où l’on prétendait voiler sous des images mystiques quelques propositions de métaphysique ou de morale. Pardonnons à ceux qui emploient leur temps à découvrir la sagesse cachée dans le Sphinx de Thèbes, ou dans le Pégase de Thessalie, ou dans le Minotaure de Crète, ou dans la Chimère de l'Épire ; mais espérons que personne ne les cherchera sérieusement dans la nature : autant vaudrait y chercher les animaux de Daniel, ou la bête de l’Apocalypse.