Page:Discours sur les révolutions de la surface du globe, et sur les changemens qu'elles ont produits dans le règne animal.djvu/96

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Il s’en faut sans doute de beaucoup que l’on ait eu depuis lors une histoire suivie, puisque l’on place encore long-temps après ces fondateurs de colonies une foule d’événemens mythologiques et d’aventures où des dieux et des héros interviennent, et qu’on ne lie ces chefs à l’histoire véritable que par des généalogies évidemment factices[1] ; mais ce qui est bien plus certain encore, c’est que tout ce qui avait précédé leur arrivée ne pouvait s’être conservé que dans des souvenirs très-confus, et n’aurait pu être suppléé que par de pures inventions, pareilles à celles de nos moines du moyen âge sur les origines des peuples d’Europe.

Ainsi, non-seulement on ne doit pas s’étonner qu’il y ait eu dans l’antiquité même beaucoup de doutes et de contradictions sur les époques de Gécrops, de Deucalion, de Cadmus et de Danaüs ; non-seulement il serait puéril d’attacher la moindre importance à une opinion quelconque sur les dates précises d’Inachus[2] ou d’Ogygès[3] ; mais si quelque chose peut surprendre, c’est que ces per-

    mais ces migrations n’en forment pas moins toutes ensemble le caractère spécial et bien remarquable du quinzième et du seizième siècle avant Jésus-Christ.
    Ainsi, en suivant seulement les calculs d’Ussérius, Cécrops serait venu d'Égypte à Athènes vers 1556 avant Jésus-Christ ; Deucalion se serait établi sur le Parnasse vers 1548 ; Cadmus serait arrivé de Phénicie à Thèbes vers 1493 ; Danaüs serait venu à Argos vers 1485 ; Dardanus se serait établi sur l’Hellespont vers 1449.
    Tous ces chefs de nations auraient été à peu près contemporains de Moïse, dont l’émigration est de 1491. Voyez d’ailleurs sur le synchronisme de Moïse, de Danaüs et de Cadmus, Diodore, lib. XI ; dans Photius, page 1152.

  1. Tout le monde connaît les généalogies d’Apollodore, et le parti que feu Clavier a cherché à en tirer pour rétablir une sorte d’histoire primitive de la Grèce ; mais lorsqu’on a lu les généalogies des Arabes, celles des Tartares, et toutes celles que nos vieux moines chroniqueurs avaient imaginées pour les differens souverains de l’Europe et même pour des particuliers, on comprend très-bien que des écrivains grecs ont dû faire pour les premiers temps de leur nation ce qu’on a fait pour toutes les autres à des époques où la critique n’éclairait pas l’histoire.
  2. Mille huit cent cinquante-six ou mille huit cent vingt-trois avant Jésus-Christ, ou d’autres dates encore ; mais toujours environ trois cent cinquante ans avant les principaux colons phéniciens ou égyptiens.
  3. La date vulgaire d’Ogygès, d’après Acusilaüs, suivi par Eusèbe, est de mille sept cent quatre-vingt seize ans avant Jésus-Christ, par conséquent plusieurs années après Inachus.