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cordages. Nous voyons là un nouveau symptôme d’anesthésie : une identification de la mer aux rochers, l’équation de l’eau fluide et de la matière morte, sorte de transfert de la mort à la matière mouvementée.

Le fait que Seghers raye le ciel est caractéristique. J’explique les cordages par la peur de détruire le ciel : ils peuvent être donnés comme un subterfuge surajouté par crainte. Et en même temps, ils représentent une tentative de fuite hors du cirque des rochers.

Fait significatif, Seghers noie volontiers ses gravures dans une obscurité nocturne. Les objets apparaissent ainsi comme des oublis, des négligences de la nuit, seul élément positif. Un objet est une interruption insolente de la nuit et du silence. Seghers représente parfaitement le type sensitif, irrité par toute création, par tout dynamisme, qui par le fait même qu’il supprime le visible arrive à l’extrême limite de la sensibilité. Tout le vide de ses gravures n’est qu’une défense contre les phénomènes, presque une défense contre la visibilité. Nuit ou vide, c’est-à-dire sommeil, mort, lueur éteinte.

Devant la grande gravure représentant les ruines de l’abbaye, on a l’impression que le bâtiment et le paysage sont péniblement ramassés comme de pauvres restes non encore engloutis par la mort. Ruines, c’est-à-dire mort déjà survenue, destruction achevée. Et si l’on veut, le motif des rochers est déjà commencé dans ces ruines, bâtiment déchu à l’état de labyrinthe de rochers. En tous cas, on voit ici le procédé : la règle commune, selon laquelle un bâtiment exprime une totalité, est dissoute. Nous constatons que le thème de la mort est combiné avec le thème de l’emprisonnement : on ne libère qu’en détruisant.


Les paysages de rochers témoignent d’un complexe de strangulation et d’agoraphobie. Les rochers représentent une protestation contre les plaines hollandaises, c’est-à-dire une volonté de fuite qui, d’ailleurs, aboutit à se cacher, à s’emprisonner dans les rochers. Autant de symptômes d’une grave psychose d’anxiété. Le motif de la fuite est indiqué par l’homme grimpant aux cordages, qui n’a aucun sens dans le paysage, mais est chargé de sens, au contraire, du point de vue psychologique. La tentative de fuite est en même temps accusée négativement par le fait que Seghers raye le ciel. Voulant introduire un élément positif, il se sert d’un moyen négatif. Notons encore que les murailles à pic des rochers expriment le vertige et qu’en même temps l’œil est déchiré par la fragmentation des éboulis : je vois là une sorte de masochisme visuel que je constate également dans les vues écartelées des plaines allongées. Le vertige signifie la fatalité de la chute et en même temps le fait de rester cloué, c’est-à-dire une crampe entre deux contrastes et une annulation psychique. Parfois, sur le côté, la vue est limitée par un rocher en forme de menhir : situé ainsi et non dans la partie centrale de la composition, ce motif est un signe d’impuissance, impuissance accusée d’ailleurs par le fait qu’un nuage en forme de lame coupe le rocher. La menace des rochers est ainsi accrue et le thème du suicide introduit.

Seghers donne une compensation de ces motifs dans les représentations de paysages plats. Il s’accroche à des extrêmes très éloignés. Ceci démontre qu’il n’est sensible qu’aux extrêmes et qu’il faut situer dans l’intervalle une zone d’anesthésie.

Ces paysages sont dessinés avec des contours rapides et en même temps décomposés d’une manière craintive et pédante. Nous avons constaté la dissolution des formes organiques. Seghers répète les points, les feuilles, les pierres, c’est-à-dire qu’il veut arriver à une