Page:Dodge Stahl - Les Patins d argent.djvu/113

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ce soir, mais je vous promets de voir le docteur de bonne heure demain matin, s’il est dans la ville.

— Ah ! mynheer, cela me rendrait un véritable service. Ce n’est pas la distance qui m’effraye, c’est de laisser ma mère pendant si longtemps.

— Serait-elle malade ?

— Non, mynheer, c’est le père. Vous en avez peut-être entendu parler ? Il a perdu la raison, le père, depuis l’époque où l’on a construit le moulin de Schlossen. Son corps est resté sain et fort, mais l’esprit n’y est plus, il ne sait plus ce qu’il fait. Hier au soir, la mère était agenouillée devant le foyer pour souffler la tourbe – (le seul plaisir du père est de voir la flamme bien brillante, et la mère souffle le feu vingt fois par jour pour le contenter) – et, avant qu’elle pût se relever, il sauta sur elle comme un géant, la poussa et la maintint presque dans le feu, malgré les efforts qu’elle faisait pour se dégager. Elle appelait au secours, la pauvre femme ; lui, riait et secouait la tête sans avoir conscience du mal qu’il faisait. J’étais sur le canal, j’entendis crier la mère. Ah, quels cris ! Et je courus vers elle. Le père ne la lâchait pas ; déjà le feu était à sa robe, son vêtement fumait. Je me précipitai pour l’éteindre, mais le père est si fort que d’un coup d’épaule il me rejeta bien loin. S’il y avait eu de l’eau dans la maison, j’aurais pu de loin en jeter sur le foyer et sur ma pauvre mère. Pendant tout ce temps, le visage du père était contracté par un rire affreux que je n’avais jamais vu sur sa bonne figure ; on l’entendait à peine, mais quelle expression dans ses yeux ! J’essayai d’attirer la mère à moi, de l’arracher à l’étreinte du père, mais cela ne fit qu’empirer les choses. Alors – ce fut épouvantable – mynheer ! quel fils aurait pu garder son sang-froid en voyant sa mère brûler ?… Je perdis la tête, et je me jetai sur le père, armé d’un tabouret, je l’en frappai pour le faire lâcher prise.