Page:Dodge Stahl - Les Patins d argent.djvu/287

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— Hélas ! fit Brinker, parlant fort lentement, tout cela a glissé de ma mémoire. Je vois encore la figure de l’infortuné ; je vois aussi ses grands yeux distinctement. Je le reconnaîtrais. Je me rappelle aussi qu’il a ouvert la montre, qu’il en a tiré quelque chose et l’a embrassé – mais rien de plus. Tout le reste est comme un tourbillon ; il me semble entendre le bruit des eaux en courroux, lorsque je cherche à me le rappeler.

— Cela se voit souvent, Raff ; j’ai éprouvé la même chose après avoir eu la fièvre. Vous êtes fatigué maintenant. Je vous ai fait trop parler, mon mari, mais cela pouvait être si important de le faire, que Dieu et vous me pardonnerez la fatigue que je vous ai imposée. Je vais vous aider à vous recoucher. – Où est l’enfant ? »

Dame Brinker ouvrit la porte et appela : Gretel ! Gretel !

« Mettez-vous un peu de côté, Mietje, dit Raff d’une voix faible, en s’efforçant de jeter un regard sur le paysage désolé. J’ai presque envie d’aller un peu sur la porte.

— Non, non, fit elle en riant, pas avant que j’aie demandé l’autorisation au docteur. L’air est trop froid. S’il le permet, je vous emmaillotterai bien demain, et je vous ferai faire un petit tour. Mais vous gelez avec cette porte ouverte. J’aperçois enfin Gretel avec son tablier plein, patinant sur le canal comme une folle. Eh quoi ! Raff, te voici sur tes jambes, allant te coucher tout seul ! Tu vas tomber !»

Le « tu » de la bonne femme témoignait tout à la fois de sa frayeur et de sa joie ; elle s’élança vers son mari, et il fut bientôt confortablement installé sous la couverture neuve, mais il déclara, pendant que sa femme le bordait soigneusement, que ce serait le dernier jour qu’elle le verrait au lit.

« Ah ! je crois que je puis l’espérer aussi, dit dame Brinker : quand on trotte comme vous venez de le faire, rien n’est impossible. »