Page:Doff - Jours de famine et de détresse, 1943.djvu/18

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sère le lui avait désappris. Je me souviens d’une voix très timbrée, avec beaucoup de charme ; même quand ma mère était vieille, sa voix parlée avait gardé tant d’inflexions, et son rire était resté si jeune qu’on devenait confiant et gai en sa compagnie.

Mon père se maria en quittant l’armée, et devint gendarme : ce qui le décida à accepter cette fonction était surtout le cheval qu’il adorait. Ma mère, orpheline dès l’âge de treize ans et obligée de gagner sa vie comme dentellière, ne savait rien, mais rien, du ménage. Depuis l’aube jusque tard dans la nuit, elle avait dû faire aller les fuseaux, ne se levant de sa chaise basse que pour se mettre à table et, tout de suite après le repas, reprenant ce travail âpre, qui lui donna des clignotements d’yeux sur lesquels je me guidais pour observer ce qui se passait en elle. Aussi le premier repas qu’elle fit pour mon père, fut des pommes de terre avec, comme sauce, de l’huile de lin au lieu d’huile alimentaire.

Puis quoi ? elle n’avait jamais eu de liberté : maintenant elle était mariée et pouvait bien aller bavarder un peu chez les autres femmes de gendarmes. Et quand mon père revenait de ses tournées, il ne trouvait rien de prêt et devait