Page:Doff - Jours de famine et de détresse, 1943.djvu/19

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souvent se remettre en selle sans avoir dîné. Alors, aux haltes, il acceptait les petits verres qu’on offre volontiers aux gendarmes pour être bien avec eux, et il rentrait, se tenant trop raide sur son cheval. Il fut déplacé plusieurs fois, puis révoqué.

Il devint ensuite garde-chasse, mais il renonça à cette fonction de son plein gré : il lui était impossible de mettre les menottes à un homme qui, ne mangeant jamais de viande, avait tiré un lapin sur son propre champ. Quand mon père entendait un coup de fusil qui lui semblait suspect, il faisait un détour, et, à la nuit, il allait prévenir le paysan qu’il serait obligé de confisquer, le lendemain, le fusil caché sous les navets et de dresser procès-verbal.

Après, toujours par amour du cheval, il entra comme cocher dans les grandes maisons ; mais couper sa moustache l’horripilait, et il n’y resta pas. Il s’engagea chez des loueurs et, de chute en chute, devint cocher de fiacre. La première fois qu’il monta sur le siège d’un fiacre, il fut honteux comme d’une déchéance, mais plus tard il en jugeait autrement, et disait que les cochers de fiacre étaient des ouvriers, tandis que les cochers de maître étaient des domestiques.

Ma mère pouvait rester des jours sans man-