Page:Dollier de Casson - Histoire du Montréal, 1640-1672, 1871.djvu/92

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mouchoir imprimé comme je viens de le dire, étant prisonnier chez les Iroquois, lorsque ces malheureux y vinrent après avoir fait ce méchant coup, et il assure que le capitaine de ce parti avant tiré le mouchoir de M. Lemaitre à son arrivée, il se mit à crier sur lui de la sorte, ayant reconnu ce visage, "Ah ! malheureux, tu as tué Daouandio (c’est le nom qu’ils lui donnaient), car je vois sa face sur son mouchoir !" Alors ces sauvages ressérèrent ce linge, sans que jamais depuis, ils l’aient voulu le montrer ni donner ni personne, pas même au Révd. P. Lemoine qui, sachant la chose, fit tout son possible pour l’avoir ; il est vrai que quand ces gens-là estiment quelque chose, il n’est pas aisé de l’obtenir ; je ne sais pas si c’est pour cela que cet homme était si réservé, ou bien si c’était pas la honte qu’il avait d’avoir fait ce méchant coup en tuant ce prêtre, car ce missionnaire était si aimé de cette nation qu’il en recevait des avanies publiques et qu’on ne le voulait pas regarder, et qui fit même que de la bonté qu’il en avait, il quitta, à ce qu’on dit, les cabanes pour n’y revenir de quelque temps ; quoiqu’il en soit de cette merveille, je vous en ai rapporté le fondement afin que vous en croyiez ce qu’il vous plaira ; je vous dirai qu’on m’a rapporté bien d’autres choses assez extraordinaires à l’égard de la même personne, dont une partie était comme les pronostiques de ce qu’il leur devait arriver un jour et l’autre, regardant l’état de ces choses présentes et celui dans lequel apparemment toutes les choses seront bientôt. Ce Monsieur a parlé dans sa vie avec assez d’ouverture de tout ceci à une religieuse et à quelques autres personnes, pour m’autoriser, si j’en voulais dire quelque chose, mais je laisse le tout entre les mains de celui qui est le maître des temps et des saisons et qui en réserve la connaissance ou bien la donne à qui bon lui semble. Finissons ce chapitre et ce qui regarde la guerre pour cette année, parlons des nouvelles que la France nous y donna, surtout disons un petit mot de Montréal, au sujet de M. l’abbé de Quélus qui y arriva environ le temps de la mort de M. Lemaitre ; aussi bien encore qu’il n’y ait paru cette fois que comme un éclair ; il y a trop de choses à en dire pour s’en taire tout à fait, je ne veux pas néanmoins pour cela en grossir par trop notre volume, parce que cela nous donnerait trop de peine et ne laisserait pas au lecteur la maîtrise d’exercer ses pensées ; ce qui étant, je me contenterai de dire que M. l’abbé de Quélus venant de Rome avait passé ici à l’italienne incognito, mais qu’on jugea qu’il ne devait pas se servir des maximes étrangères, qu’il était plus convenable à une personne de sa qualité et vertu de faire le trajet à la française ; c’est pourquoi on l’obligea de repasser la mer cette même année, afin de revenir par après au su de tout le monde, avec plus de splendeur, à la mode de l’ancienne France, comme il l’a fait depuis.