Page:Dolomieu - Mémoire sur les tremblemens de terre de la Calabre.djvu/11

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diſſant ſa famille & ſes amis, dont il accuſe l’indifférence & la lenteur a venir a ſon ſecours. Il ne peut croire, qu’ils ayent éprouvé un malheur ſemblable au ſien 11.1, il ne ſait pas que ceux qui ſur-

vivent



Chacun etoit occupé de ſes malheurs particuliers, ou de ceux de ſa famille ; ou ne prenoit aucune part au ſort de la perſonne indifferente. On vit dans le même tems des exemples de tendreſſe paternelle & maritale portée juſqu’au devouement, & des traits de cruauté & d’attrocité qui font frémir. Pendant qu’une mere échevelée, & couverte de ſang, venoit demander, a ces ruines encore tremblantes, le fils qu’elle portoit en fuyant entre ſes bras, & qui lui avoit été arraché par la chute d’une pièce de charpente ; pendant qu’un mari affrontoit une mort preſque certaine, pour retrouver une épouſe chérie ; on voyoit des monſtres ſe précipiter au milieu des murs chancellans, braver le danger le plus éminent, fouler au pied des hommes moitié enſevelis, qui reclamoient leur ſecours, pour aller piller la maiſon du riche, & pour ſatisfaire une aveugle cupidité. Ils depouilloient encore vivans des malheureux, qui leur auroient donné les plus fortes recompenſes, s’ils leur avoient tendu une main charitable. J’ai logé a Polistena dans la baraque d’un galant homme, qui fut enterré ſous les ruines de ſa maison ; ſes jambes en l’air paroissoient au deſſus. Son domeſtique vint lui enlever ſes boucles d’argent, & ſe ſauva enſuite, ſans vouloir l’aider a ſe dégager. En général tout le bas peuple de la Calabre a montré une dépravation incroyable de moeurs, au milieu des horreurs des tremblemens de terre. La plupart des agriculteurs ſe trouvoient en raſe campagne, lors de la ſecouſſe du 5. Fevrier ; ils accourrurent auſſitot dans les Villes encore fumantes de la pouſſiere, qu’avoit occaſioné leur chute : ils y vinrent ; non pour y porter des ſecours, aucun ſentiment d’humanité ne ſe fit entendre chez eux dans ces affreuſes circonſtances, mais pour y piller.

11.1. J’ai parlé a un très grand nombre de perſonnes, qui ont été retirées des ruines, dans les differentes Villes qui j’ai viſité ; elles m’ont toutes dit, qu’elles croyoient, que leurs maiſons ſeules avoient été renverſées, qu’elles ne pouvoient penſer, que la deſtruction fut auſſi générale, & qu’elles ne concevoient pas comment on tardoit autant a venir leur porter des ſecours. Une

femme