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Page:Donnay - Autour du Chat Noir, 1926.djvu/107

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Dont le nom est encor cité comme un proverbe,
Si bien que pour dire un citoyen généreux,
On dit c’est un Michés, un Michès sérieux,
J’en suis réduit, hélas ! à demander l’aumône
Pour manger le brouet noir de Lacédémone.
— Et c’est bien fait pour moi ! Je me suis ruiné
Pour la délicieuse et cupide Phryné,
Phryné, la courtisane adorable et terrible
Que les Athéniens surnommèrent le Crible,
À cause qu’entre ses doigts l’or de ses amis
Coule comme à travers les mailles d’un tamis
Où coulerait toujours l’or fluide des sables !
Certes, il fallait des trésors inépuisables
Afin d’alimenter le Crible de Phryné
J’ai voulu satisfaire à son luxe effréné…
Ma fortune à ce jeu fut vite débordée
Et je dus recourir aux hommes de Judée,
Qui m’ont prêté, mais à des taux désordonnés !
Ils ont crocheté mes coffres avec leur nez ;
Ils m’ont vendu de tout, des olives, des dattes,
D’antiques boucliers du temps de Mithridate.
De la pourpre de Tyr et du poisson séché ;
Puis quand les usuriers m’eurent tout arraché,
Sachant que j’en étais à ma dernière mine,
Mes vieux, mes chers amis m’ont fait mauvaise mine,
Et la blonde Phryné tout naturellement
M’a défendu son cœur et sa porte… Charmant !
— Eh bien, malgré cela, je l’aime encor, je l’aime !