Page:Dorat - Œuvres diverses, Neuchatel, 1775.djvu/67

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La nature long-tems se plaît à se cacher ;
Elle a mille secrets qu’il lui faut arracher.
Pour l’aveugle vulgaire indigente et stérile,
Aux regards du génie elle est toujours fertile.
C’est l’or qui, renfermé dans ses noirs souterreins,
Attend, pour en sortir, d’industrieuses mains ;
C’est ce marbre grossier, c’est ce bloc insensible,
Que le ciseau façonne, et que l’art rend flexible.
Mais ce n’est point assez de ces vaines leçons ;
Je quitte le pinceau, je brise mes crayons,
Si je ne vous inspire un orgueil légitime,
Cet orgueil créateur, la source du sublime.
Le préjugé s’efface, il touche à son déclin :
Le françois plus instruit, est aussi plus humain.
S’il outragea votre art, il en rougit encore ;
Pourroit-il avilir des talens qu’il adore ?
Connoissez de cet art quelle est la dignité.
Voyez autour de vous tout un peuple agité.
Il se presse, il palpite, et soudain plus tranquile,
Un morne accablement tient son œil immobile.
Ces pâles spectateurs, étonnés de frémir,
À votre émotion mesurent leur plaisir.
Tantôt, ensevelis en des terreurs muettes,
Ils n’ont que des sanglots, des pleurs pour interpretes ;
Et tantôt mille cris, jusqu’au ciel élancés,
Soulagent tous les cœurs, trop long-tems oppressés.