retrouverait, tout le reste fût-il détruit, l’essentiel de
ce qui aurait été pensé, senti, voulu, agi par la race.
Toute la Grèce est dans Homère; Dante et Pétrarque
ont fait l’Italie; et quant à Shakespeare, écoutez ce
qu’en dit le grand Anglais Carlyle :
« Si l’on nous demandait : « Voulez-vous abandonner
votre empire indien où votre Shakespeare? »,
réellement ce serait une grave question. Des personnages
officiels répondraient sans doute en langage officiel; mais nous, pour notre part, ne serions-nous
pas forcés de répondre : « Empire indien ou pas
d’empire indien, nous ne pouvons faire sans Shakespeare.
L’empire indien s’en ira, en tout cas, quelque
jour; mais ce Shakespeare ne s’en va pas, il dure à
jamais pour nous; nous ne pouvons abandonner notre
Shakespeare... Nous pouvons l’imaginer comme rayonnant en haut sur toutes les nations d’Anglais
dans mille ans d’ici. De Paramatta, de New-York, en
quelque lieu que soient des hommes anglais et des
femmes anglaises, ils se diront les uns aux autres :
Oui, ce Shakespeare est à nous; nous l’avons produit,
nous parlons et pensons par lui.. Oui, vraiment,
c’est une grande chose, pour une nation, que
d’arriver à avoir une voix articulée, que de produire
un homme qui exprimera mélodieusement ce que son
coeur à elle pense (1)[1]. »
Eh bien ! nous aussi nous les avons, nos Homère,
nos Dante, nos Pétrarque et nos Shakespeare, qui
expriment et qui exaltent « mélodieusement » le génie
particulier de notre race, qui sont notre lien national
et qui, de plus, par un rare privilège, sont plus qu’au-
- ↑ (1) Les Héros, traduction J.-B. Izoulet.