Page:Dorgelès - Le Cabaret de la belle femme.djvu/106

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Il soupira tristement et but une gorgée, pour faire couler sa peine. Grandjean, qui s’était rapproché, le regardait de travers. Le prisonnier reprit en hochant la tête :

— Ceux qui en reviendront auront de la veine… Pour nous, tu vois, la guerre est finie… Nous allons partir dans un camp, en Bretagne ou dans le Midi. J’aimerais mieux le Midi, j’adore le soleil. Comme je parle bien français, on m’emploiera sûrement au bureau. Ah ! pour être peinards, nous allons être peinards, c’est bien notre tour. Nous serons mieux là-bas qu’ici à passer le prochain hiver dans la boue… Et encore, vous n’avez rien vu, si on vous envoie à Verdun, vous allez déguster quelque chose, je vous avertis. C’est le secteur de la mort.

Les autres prisonniers s’étaient rapprochés, quelques-uns comprenaient peut-être, et ils écoutaient leur camarade avec des sourires irritants.

— Enfin, conclut le blessé, mi-compatissant, mi-railleur, je ne veux pas vous retenir, le devoir vous attend… Allez-y et bonne chance… Attention aux 130 surtout, il n’y a rien de plus traître…

Mahieu fronçait les sourcils, commençant à soupçonner quelque chose. Grandjean, lui, avait serré les poings, et un instant il eut la tentation d’envoyer rouler ce gros sac gris d’un coup de soulier. Mais à cause de la sentinelle, il se retint.

— Viens, dit-il dédaigneusement à Mahieu, laissons ces vaches-là !