Page:Dorgelès - Le Cabaret de la belle femme.djvu/107

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Et ils sortirent. L’herbe de l’enclos était râpée comme un vieux tapis, usée par des milliers de godillots. Sur toute la ligne, le roulement du bombardement continuait.

— Ils se foutaient de nous, hein ? interrogea Mahieu pas encore certain d’avoir compris.

Grandjean ne répondit pas. Il restait songeur au milieu du courtil le front barré d’un pli soucieux, sous la visière du casque. Puis, lentement, un sourire heureux naquit sur son visage. Une idée lui était venue.

— Ne bouge pas, dit-il à son camarade. Tu vas voir leurs gueules.

Il fit demi-tour, poussa la porte de la grange et dévisagea les prisonniers sans une parole, avec un air si grave qu’ils en parurent incommodés. Puis, d’une voix solennelle, il leur apprit :

— Mes pauvres vieux, un sale coup qui vous arrive. Tu peux leur traduire, toi… Des Allemands ont achevé de nos blessés dans le chemin creux, alors, par représailles, on vous fait tous fusiller dans une heure.

Le blessé, livide, avait traduit en quelques mots terribles, et les prisonniers se regardaient, anéantis, muets. Un se mit à pleurer.

— Rien à faire, mes pauvres gars, soupira Grandjean, c’est la guerre.

Et après un petit signe de tête désolé à son blessé, il referma tristement la porte. Une jubilation infinie éclairait son visage.

— Viens, dit-il à Mahieu qui riait silencieusement. Maintenant ils boiront peut-être tout de même le pinard, mais tu peux être sûr qu’ils ne toucheront pas aux sardines…