Page:Dorgelès - Le Cabaret de la belle femme.djvu/12

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— Parfaitement, des fumiers, répète-t-il d’une voix honnête qui ne sait pas prononcer ces gros mots.

Il doit être sept heures. Pour arriver parmi les premiers, je me suis levé à l’aube et j’ai traversé Paris à pied, faisant fièrement claquer mes chaussures cloutées, comme des godillots de soldat. Je ne les quitte plus depuis dimanche, pour les faire à mon pied, mais aussi pour que les passants devinent où je vais. Quand je croise une femme, je mets mon chapeau sous mon bras, afin de montrer mon crâne à l’ordonnance, tondu comme une boule de billard, et je sifflote de travers le réveil en campagne, pour laisser croire que cette sonnerie familière m’obsède.

D’autres se donneraient une allure martiale ; moi, plus ambitieux et plus naïf, je veux avoir l’air soldat. Cela me passera… Et, au lieu de cambrer la taille, de poitriner, je m’exerce à marcher le dos un peu voûté, comme écrasé sous le poids du sac, en traînant bruyamment sur l’asphalte mes chaussures de chasse, où l’on a ajouté des clous. J’ai même acheté une pipe en merisier que je n’allume jamais, par crainte du mal de cœur, mais qui ne quitte pas ma bouche, et quand je crois que quelqu’un m’observe, je crache de côté, comme on doit faire à la caserne, pour me donner une contenance.

Nous sommes bien cinq cents qui, depuis le 2 août, venons tous les matins à ce bureau de recrutement avec le désir de signer notre engagement. On se retrouve au petit jour dans la cour du bastion que les factionnaires ne gardent pas