Page:Dorgelès - Le Cabaret de la belle femme.djvu/13

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

encore à cette heure matinale et l’on attend, sans trop d’impatience, l’arrivée du soldat qui va planter ses poteaux à l’entrée des travées. Plein d’indifférence, il les place au hasard : Livrets sans fascicule, Visite médicale, Renseignements divers, Engagements ; et l’on s’entasse par fournées d’hommes, entre les deux barrières au bout desquelles personne ne viendra jamais nous renseigner.

On piétine là jusqu’à midi. Parfois, un de nous tente de mettre un peu d’ordre dans la cohue.

— Il faut faciliter la besogne du capitaine, crie-t-il avec autorité.

Aussitôt, on nous bouscule, on nous fait prendre l’alignement, on forme des séries, mais pendant que les uns se mettent en file, les autres rompent déjà les rangs, ceux-ci reculent, ceux-là se glissent le long de la balustrade pour gagner des places, et, en un instant, la compagnie retourne au troupeau. Alors, fatigué de courir de tête en queue, comme un chien de berger, le jeune homme zélé rentre dans le rang, vexé d’avoir perdu si vite ses premiers galons.

Personne ne pense à la guerre. Pas de grands mots : gloire, victoire, revanche… On dit simplement : « On va se battre » ; et pas un ne comprend tout ce que cela veut dire.

Ce qui préocupe les camarades, c’est l’atelier fermé, le crédit coupé chez les commerçants, la dernière paye qui s’en va sou à sou.

Dans le brouhaha, j’entends parler comme de choses toutes simples de combats sanglants, d’exécutions en masse, d’épiceries qu’on pille, et