Page:Dorgelès - Le Cabaret de la belle femme.djvu/122

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semaines à imaginer, comme : « crâne d’alouette, bon à lappe, du chnoc et entortillé d’peau d’nouille ».

Il n’était pourtant pas si sot, avec son air de toujours tomber de la lune et il trouvait le moyen de ne rien faire là où les autres se tuaient de fatigue.

Sa maladresse proverbiale le mettait à l’abri de toutes les corvées, personne n’aurait consenti à former équipe avec lui pour porter un rondin, jamais un sergent n’aurait songé à le désigner pour creuser une tranchée, et comme il lui était arrivé, en patrouille, de rester droit comme un héron au beau mitan de la plaine, tandis qu’une fusée boche balançait son gros œil fulgurant, il avait été convenu que, par prudence, on l’utiliserait à autre chose. Mais comme il n’était capable de rien, on le gardait comme cela, comme figurant.

Ses camarades savaient qu’au repos il payait à boire sans se faire prier, qu’on pouvait toujours le taper de quarante sous « pour aller rechercher son linge » et qu’il partageait généreusement le contenu de ses colis, alors, on supportait sans trop grogner ce combattant bénévole.

Assis à l’écart sur son sac, ses longues cuisses pour pupitre, il écrivait des vers toute la journée, ou plutôt des lettres, car la revue la plus confidentielle ne pouvait publier quatre vers du poète le plus insoupçonné sans qu’il adressât à l’auteur, au directeur, et peut-être même à l’imprimeur, de longues épîtres dithyrambiques où il entassait sans mesure des louanges si dispropor-