Page:Dorgelès - Le Cabaret de la belle femme.djvu/125

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désertes, ils tombèrent dans un sommeil de mort.

Par les rues défoncées, des lambeaux de sections arrivaient encore, soldats hâves aux yeux luisants.

Jean de Crécy-Gonzalve qui, à peine déséquipé, était allé chercher ses lettres, achevait la lecture de son courrier, accroupi devant la roulante, quand il reconnut un de ses fidèles parmi ces revenants.

— Ah ! mon cher ami, lui cria-t-il d’une voix gémissante… Vous connaissez l’affreuse nouvelle ?

L’autre, encore hagard, le regarda avec une figure retournée, blême, la lèvre retroussée sur les dents comme un chien qui va mordre.

— Quoi ? répondit-il, prêt aux pires catastrophes… Le 3e bataillon s’est fait poirer ? Il n’en est pas redescendu un du bois de la Caillette ?

Le poète, accablé, hochait tristement la tête.

— Non, dit-il enfin, soupirant comme un accordéon. Ah ! c’est une bien triste chose : M. Jules-Timoléon Crabe ne fait plus la critique des livres à l’Octaèdre.

L’ami en fut tellement hébété qu’il regarda de Crécy-Gonzalve un bon moment, sans paraître avoir compris. Puis, éclatant d’une colère rouge, il se mit à l’injurier comme peuvent s’injurier deux hommes de corvée butés dans un boyau ; il lui cracha au nez les pires choses, jurant en s’étranglant qu’il se foutait de Crabe, de l’Octaèdre, de tous les rimeurs du monde et de Crécy-Gonzalve en particulier, et quand il fut à bout d’insultes il le planta là, devant sa roulante, sans